Présenté en avant-première au JAM le 24 octobre dernier, nous vous partageons nos premières impressions d’Evergreen, le 3ème album du Naïma Quartet, emmené par Naïma Girou, qui sortira officiellement début 2025. Ce soir-là, comme une bonne partie de l’assistance séduite par la prestation des montpelliérains, nous avons pu nous procurer un exemplaire qui, depuis, ne quitte plus notre lecteur cd. Inspiré par la nature, un jazz vocal, moderne, métissé, maturé, aux prouesses verdoyantes. Notre disque « chocc » (*).
S’appeler Naïma -mythique morceau de John Coltrane- quand on fait du jazz à ce niveau, a de quoi faire douter n’importe quel athée de sa non-croyance au destin. Puis un enregistrement de la voix du père de la chanteuse-contrebassiste Naïma Girou, est venu, lors du concert de son quartet présentant leur 3ème album Evergreen, le 24 octobre dernier au JAM, donner une explication davantage rationnelle : disparu il y a peu, Jean-Pascal Girou était lui-même musicien, comme sa femme, et tous deux amateurs de Trane.
Hommage à un père bien aimé
Dans l’enregistrement en question, on l’entendit analyser un solo d’oiseau, tel un Alexandre le Bienheureux érudit de musique. Une captation-souvenir de famille -non présente sur le disque- partagée avec émotion, hors de la sphère privée, pour introduire l’un des morceaux de ce nouvel opus ayant pour trame la nature. Dont notre leadeuse tint à nous préciser, sans juger, qu’on en parle souvent, citadins, comme une chose extérieure à nos vies, alors qu’elle est omniprésente. Une condition sine qua non à nos brefs passages sur Terre.
Une source d’inspiration qui réussit en tout cas à notre Esperanza Spalding locale et ses trois amis avec lesquels elle partage la scène depuis maintenant huit ans : le pianiste Jules Le Risbé, le batteur Thomas Doméné (tous deux officiant dans le délicieux et inventif trio Sunscape aux côtés de l’organiste Emmanuel Beer) et le guitariste (désormais plus cévenol qu’irlandais nous apprit-elle) John Owens, qui d’après la légende confectionna lui-même à moindre coût son pedalboard après avoir vu celui de son acolyte au Fender Rhodes, acquis quant à lui moyennant une petite somme auprès d’un artisan audois.
Une créativité chlorophyllée
Le quatuor impressionne de créativité chlorophyllée, de prouesses verdoyantes (mention spéciale aux chorus de Jules et John), de rythmiques éclectiquement feuillues (Doméné-tout-terrain !), et de mélodies fleuries et accrocheuses (mais ne cédant jamais à la facilité) magnifiées par les notes de basse et les aigus filés de Naïma. Des chansons, symbole d’une nature reprenant ses droits, ayant fait du JAM, le temps d’une soirée, un site d’urbex où l’on a envie d’y retourner car l’on sait d’avance que l’on va y découvrir des recoins à côté desquels on était passés la première fois. Une escapade aventureuse et poétique, dont les paroles, uniquement en anglais, sont tantôt signées du guitariste, tantôt du pianiste, tantôt d’une cinquième membre cachée : Saskia Cohen, un quasi homonyme de la regrettée metteuse en scène-James Bond Girl.
Un jazz résolument moderne
En juin 2021, lors de la sortie de Zephyr, leur deuxième essai, on avait pu lire d’eux dans les colonnes de Jazz Magazine qu’ils gardaient « un pied dans la tradition […] comme s’ils ne voulaient pas choisir entre le classicisme et modernité ». Cette fois, il s’agit bel et bien d’un jazz vocal résolument moderne, métissé, maturé, où l’acoustique se confond à l’électrique, et qui s’est affranchi des reprises de standards (sans les renier car ils les ont forgés). Toutes les influences des quatre musiciens s’entremêlent avec brio dans les dix compositions originales d’ Evergreen : post-bop (Empty Pool, le coltranien Apple Tree avec le renfort du saxophoniste Ezequiel Celada), rythmes caribéens (Samphire qui nous rappelle les arrangements de Grégory Privat pour Laura Prince), soul (The Rise, Pytheas, The River), pop onirique (Ralph,Orchids Bloom), et même soukous (Comitan). Avec toujours ce souci de l’harmonie euphorisante pour l’auditeur averti.
Notre disque « Chocc »
(*) Un détournement volontaire de l’appellation «Choc» attribuée par le mensuel septuagénaire de référence, cité plutôt, aux sorties qu’il considère indispensables à écouter, pour prévenir sa rédaction qu’ils vont recevoir d’ici peu, dans leur boîte aux lettres parisienne, ce petit bijou floral en provenance d’Occitanie. Et car on pense sincèrement, sans chauvinisme, que ce projet du Naïma Quartet a autant de cachet que nombre d’actualités bénéficiant d’un très bel encart promotionnel dans leurs pages.
Avant qu’ils ne soient prisés par tous les programmateurs du pays (on leur compte déjà plus de 200 concerts à leur actif), on espère tout de même profiter encore d’eux, dans les mois à venir, dans tous les repères de la ville où le jazz se savoure avec une proximité -souvent manquante aux gros festivals- faisant leur charme : Le Dôme, Le Discopathe, Le Bœuf…
Aussi, en attendant sa sortie officielle, on ne peut que conseiller aux curieux, malheureux absents du concert de ce 24 octobre 2024 au JAM, d’aller découvrir quatre des morceaux de ce 3eme album via la session live boisée, filmée à L’Artesan.
A la UNE : la pochette du disque « Evergreen ». Crédits: illustration et graphisme Maxime Borowski. Photo Anaïs Armelle Giraud.
-Dessous : le shooting pour l’album. Crédit photo : Anaïs Armelle Giraud.
-Enfin, une photo du concert par Zoé Roussel Dejean pour l’agence RZDesign.
Bravo ! Juste, sensible et magnifiquement écrit ….