Quatuor virtuose adepte d’un jazz-world chimérique, les montpelliérains Chocho Cannelle présenteront ce jeudi 5 décembre au Jam leur premier album Yo Te Cielo. Petit focus sur cette formation, lauréate du tremplin de Jazz à la Défense en 2022, que les parisiens nous envient.
La harpe électrique de Camille Heim
Vous voyez quand Vincent Segal joue la ligne de basse au violoncelle électrique et que son acolyte Ballaké Sissoko improvise à la kora (si vous ne voyez pas, googlelisez et vous nous remercierez peut-être à l’occasion pour cette magnifique découverte).
Et bien par moment, à quelque chose près, on croirait que Camille Heim parvient à être ses quatre mains virtuoses avec ses dix doigts et son instrument atypique pourvoyeur d’enchantements : une harpe électrique llanera. Une descendante du baroque espagnole, passée par là Colombie, avant de finir par être amplifiée au siècle du précurseur Alen Stivell. Et un capteur par corde ! Autrement dit, une Tesla des instruments à cordes pincées ! Qu’elle conduit avec une dextérité qui n’a d’égale que sa sensibilité.
Cam&Léo, de l’asphalte aux grandes scènes
Formée auprès de la montpelliéraine Héloïse Dautry et au conservatoire de Paris, elle aurait pu se contenter d’une brillante carrière de concertiste, mais sûrement en partie du fait d’un père cévenol, François Heim, figure de l’accordéon diatonique en Europe, l’ayant traînée dans tous les bals trad de la région et d’ailleurs, elle se prit d’affection pour les musiques du monde et en 2018 forma le duo Cam&Léo avec le batteur et percussionniste Léo Danais, ancien élève du batteur jazz Franck Agulhon, pour jouer au chapeau dans la rue une folk-ambient aux colorations caribéennes et sud-américaines. Le talent et la convoitise des auditeurs en ont finalement voulu autrement : les spectacles sur l’asphalte se sont mués en premières parties sur des grandes scènes. Ils ont notamment été des chauffeurs de salle acclamés pour Ibrahim Maalouf et André Manoukian. Chapeau bas.
Lauréats du tremplin de Jazz à la Défense en 2022
C’est ce binôme qui est à l’origine de Chocho Cannelle. Un version augmentée d’Arthur Guyard au piano et aux claviers rythmés et envoûtants, et de Timothé Renard à la clarinette et à la clarinette basse qu’il épice de multiples effets.
Une version, aux influences du monde démultipliées, qui lorgne cette fois vers un jazz bien ancré dans les musiques actuelles. À peine formé, et seulement quelques répétitions et prestations au compteur, ils réussirent à s’imposer au prestigieux tremplin de Jazz à la Défense en 2022. Ainsi que finalistes du Tremplin Rezzo dédié aux nouvelles générations du festival Jazz à Vienne 2023 et lauréats d’Occijazz 2023 (le réseau jazz d’Occitanie). Ce qui en dit long sur leurs capacités d’instrumentistes, d’improvisateurs, et d’artisans confiseurs de gourmandises musicales. Normal me direz-vous avec ce nom de groupe que l’on croirait tout droit piqué à la carte du meilleur salon thé du centre-ville.
Une lettre d’amour de Frida Kahlo
Après un premier EP «Libre à l’intérieur» (sorti en janvier 2023) qui s’attira les compliments d’Alex Dutilh, l’éminent journaliste de jazz sur France Musique désormais jeune retraité, vient de paraître au début de l’automne leur premier album: Yo Te Cielo. Un nom inspiré d’une lettre d’amour que Frida Kahlo avait écrite à son ami, le poète Carlos Pellicer :
-« ¿ Se pueden inventar verbos ? Quiero decirte uno : Yo te cielo, así mis alas se extienden enormes para amarte sin medida» (Peut-on inventer des verbes ? J’aimerais t’en dire un : Je te ciel, ainsi mes ailes s’étirent, énormes, pour t’aimer sans mesure)
Par ce néologisme poétique emprunté à l’artiste mexicaine avec qui ils partagent le goût de la liberté et du surréalisme, le quatuor nous invite à embrasser son univers fusionnant avec malice aussi bien les musiques classiques, créoles, latines, africaines, que les musiques de film. Et incorporant même subtilement par endroits des éléments venant du hip-hop (les premières mesures de L’Hystérie du Mec) et des musiques électroniques (de l’électronica dans Cinque Terre et du future-jazz sur Industriel).
Ce qui est confondant et relève de l’irréel, est que les quatre musiciens, tour à tour compositeur, parviennent à mêler ces multiples influences au sein même d’un morceau, sans jamais heurter nos oreilles, bien au contraire. Ils trouvent toujours le juste dosage, comme un grand chef maîtrise l’umami.
Prenons pour exemple Hight Point, qui démarre avec une main gauche du pianiste presque reggae, une clarinette klezmer, puis rebondit sur un pont nous rappelant Hubert Rostaing du temps de sa collaboration avec Philippe Sarde, pour finir par s’envoler dans des contrées hard-bop avant de retomber naturellement sur ses pattes.
Comme leurs auteurs sur la fantasmagorique pochette illustrée du disque, on finit par avoir la tête dans les nuages à l’écoute des douze morceaux de Yo Te Cielo qui se referme magnifiquement avec le très onirique Yggdrasil (nom de l’arbre de vie dans la mythologie nordique) qu’on avoue avoir dégusté en boucle toute la semaine.
Une chose est sûre : on a hâte d’être ce jeudi 5 décembre pour cieler (gratuitement) Chocho Cannelle au Jam. Et on ne peut que vous conseiller d’y être. Les parisiens ont été charmés par la « release party » qui a eu lieu la semaine dernière au Studio de l’Ermitage. Il n’y a pas de raison qu’on n’en profite pas nous aussi.
En concert au JAM, le jeudi 5 décembre à partir de 21h, dans le cadre des sessions « JAM Découverte » avec entrée libre. Le disque, ici. Photo centrale Cahuate Milk.
Eh bien, oui, j’y étais et on est rentrés enchantés par cette musique autant douce et enthousiaste, reçu en cadeau par des musiciens qui ont l’air de s’aimer…