Au théâtre du Hangar jusqu’au 20 décembre, Julien Bouffier revisite l’utopie d’un mythe méconnu de la décentralisation culturelle, le comédien Gabriel Monnet, interprété par Jean Varela. Un bel objet théâtral d’utilité publique.
D’abord, sur la scène, c’est Hugo (Gaëtan Guérin), «metteur en scène empêché». On comprend Covid, pandémie, enfermement. Il anime depuis chez lui une émission de radio sur le théâtre où il évoque Gabriel Monnet, le premier directeur de la maison de la culture de Bourges, en 1963, ce joyau de la décentralisation culturelle. Mort à Montpellier en 2010. Un théâtre venu fonder une nouvelle ère de dignité des territoires face au théâtre parisien et bourgeois. Nous en sommes des bénéficiaires directs, sans toujours bien le mesurer.
Tout se joue à l’avant-scène. Un mur a réduit l’espace vital du jeu. En jupon de tulle et blouson à capuches, Vanessa Liautey rejoint ensuite cet acteur, son compagnon dans la vie. Ensemble, ils répètent Hamlet dont elle est la mère incestueuse, mais ils ne savent pas quand les théâtres vont ouvrir à nouveau. C’est une petite mort que vivent ces deux artistes égarés. Tombés du «manège».
Jean Varela apparaît d’abord dans une image projetée sur le mur pour ensuite venir dialoguer avec la même Vanessa Liautey, cette fois en actrice de la glorieuse époque de Gabriel Monnet. Ils ont joué ensemble. Ils se souviennent. Un duo qui fonctionne très bien d’ailleurs. On retrouve l’intensité de Jean Varela, qui n’avait pas joué depuis 7 ans, en spectre venant parler au présent, réchauffer des acteurs d’aujourd’hui en perte de sens.
Un bel objet théâtral avec une fine équipe : Jean-Christophe Sirven à la bande-son, Laurent Rojol à la vidéo notamment. Répétitions, webradio, dialogues de théâtre, chant, images d’archives, interviews de spectateurs, citations d’autres pièces de théâtre de son répertoire : on retrouve la signature Bouffier (photo), son utilisation virtuose de la vidéo, son récit sophistiqué à plusieurs niveaux, alternant images et séquences très incarnées, très physiques.
Gabriel Monnet n’est pas Jean Vilar. L’hommage rendu assume un positionnement didactique qui n’entre pas dans les codes du théâtre contemporain. Et tient le cynisme de l’époque à distance avec sa horde utopique de jeunes qui vient briser le mur pour porter un message d’amour, face au public.
Il n’est pas tout à fait certain que les choses soient si heureuses. A l’heure de l’intelligence artificielle et de Netflix, qu’a-t-il à nous dire, et que nous pouvons entendre, ce héros inconnu, ce «Dumbledore» du théâtre, avec son rêve d’éducation populaire née de la résistance ? Qu’a-t-il à nous dire sur notre époque de fascismes décomplexés, de technologies carnivores ? Notamment aux plus jeunes incarnés par ces étudiants de l’Ensad, l’école supérieure d’art dramatique, où trône le Molière d’honneur de Gabriel Monnet offert à l’école, aux étudiants du cours Florent, de la faculté Paul Valéry et du conservatoire qui figurent dans le spectacle dans une inclusion de formes qui sont une de ses réussites.
«Le mot artiste est l’avenir du mot travailleur»
Il faut voir ce spectacle comme une tentative de transmission et aussi l’histoire d’un clan. Jean Varela porte un costume de scène de Gabriel Monnet, qui a été son professeur. Il en est un héritier direct dans ses questionnements à la tête du Printemps des Comédiens sur un théâtre populaire sans complaisance. Aux lumières du spectacle, Georges Lavaudant, est le plus proche du grand homme. Il a été lui-même un des premiers chocs au théâtre de Julien Bouffier dont le président de la compagnie, Adesso e Sempre, est le propre fils de Gabriel Monnet. C’est une famille qui porte un ADN collectif avec conviction.
Gaby mon spectre est aussi un geste intime. Julien Bouffier s’acquitte d’une dette de reconnaissance dans une œuvre personnelle hantée par la disparition, et traversée par la même égérie depuis des années : la majestueuse actrice Vanessa Liautey, qui chante en plus divinement bien.
Gaby, mon spectre, au Hangar Théâtre du 10 au 20 décembre à 20h (relâche le 15) dans le cadre de la programmation du Domaine d’O. Ambiance disco et exposition photographique de Marc Ginot dans le hall + une exposition créée par les élèves de l’ESBA + présentation d’un travail en cours des équipes issues des formations théâtrales montpelliéraines à partir de 18h30.
(*) Rencontres autour du thème C’est quoi une maison de la Culture ?, les 14 et 15 décembre, avec des chercheurs, journalistes, ici. A noter la rencontre autour du livre de Marjorie Glas Quand L’art chasse le populaire, le dimanche.
Photos @Marc Ginot @Adesso e Sempre