Le sétois Raphaël Lucas est au programme d’un concert pour orgue et trompette le 22 décembre à la Maison de la radio à Paris. Une autre de ses œuvres sera donnée en janvier à l’Opéra de Toulon. Portrait d’un jeune compositeur, formé aux USA, percussionniste intermittent à l’Orchestre national de Montpellier, qui vit la musique en voyageur curieux.
Devant la façade de la mythique Villa Noailles, ce château cubiste perché au-dessus de la mer, les applaudissements ont été particulièrement nourris quand il a salué le public. Le chanteur Eddy de Preto, l’actrice Elodie Bouchez, le directeur de la Scène nationale voisine de Châteauvallon, Charles Berling, Thomas Bangalter du duo Daft Punk, qu’il a rencontré ensuite en tête à tête, l’architecte-star Patrick Bouchain, les élus locaux, le Ministère de la culture en force : tout un milieu parisien découvrait à Hyères, ce 16 septembre 2023, en veste blanche brodée, un compositeur doué et surprenant dans son éclectisme, entre pop et musique répétitive, ce que Diapason a appelé «un post-modernisme assumé», avec d’envoûtantes séquences cinématographiques.
C’est à Sète, devant un verre, qu’avait été initiée cette aventure avec le directeur Jean-Pierre Blanc, patriarche redouté du design et de la mode, pour les 100 ans de la villa. Sète où Raphaël Lucas est né, en 1983, où il a passé les 20 premières années de sa vie, immergé dans la musique. Mère chanteuse, beaucoup de disques à la maison dans tous les registres, des journées entières à improviser au piano et sur la batterie du père. Une appartenance dont il est «fier». «Sète m’a laissé cette sensation profonde que le monde était toujours plus loin, qu’il fallait aller voir ailleurs, qu’il y avait toujours un horizon à franchir. Les éléments à Sète, ville si sensorielle, les vents, l’extraordinaire lumière, les odeurs marquantes, tout est en moi».
Après le conservatoire municipal de Sète (où il est entré à l’âge de 5 ans), puis celui de Montpellier, dans la classe des «percussions» et aussi en section «écriture», c’est l’aventure américaine, de 2006 à 2012. Là, il se forme à la composition à la State University of New York collège de Purchase où il obtient un Bachelor puis un Master of Music. Il étudie également à la Manhattan School of Music à New York sous la direction d’un des piliers de la prestigieuse école, Nils Vigeland, un élève du grand compositeur américain Morton Feldman, intime de John Cage. «Stylistiquement, je suis plus proche de Morton Feldman, mais Nils Vigeland a été un mentor, dans le meilleur sens du terme».
Par cette prise du large, Raphaël Lucas s’extrait de ce qu’il avait pressenti devoir vivre en France, à l’excès : «La liberté esthétique que j’ai expérimentée là-bas, et cette invitation à ouvrir ma culture musicale, je ne l’aurais pas connue en France, où je déplorais un hermétisme. Je me sentais dans une sorte d’ornière musicale. Je n’ai connu que très tardivement la French Touch, par exemple».
Ses aller-retours entre les percussions et la composition témoignent d’un évitement assez résolu du chemin tout tracé. Une constante. Raphaël Lucas veut échapper aux assignations, cultive les bifurcations, les chemins de traverse, aime se nourrir, se surprendre. «J’ai envie de me sentir vivant, d’être connecté avec le monde, que ma musique soit véritablement un art vivant». Au retour des Etats-Unis, il s’installe à Paris puis se lance dans la photo. Dans cette série (ci-dessus), il rend très bien l’insolite et l’étrangeté de Sauclières, dans l’Aveyron où il vit depuis quelques années, cadre du dernier film de Alain Guiraudie, «Miséricorde».
Le concert, impressionnant, qu’il a donné à l’abbaye de Sylvanès, en 2021, a été, de ce point de vue, un quasi manifeste (ci-dessous). LOKKO l’avait raconté : en baskets et pantalon de cuir noir, le compositeur était à la baguette pour un oratorio puissant avec une armée de cuivres et percussions, deux chœurs, un soliste et un récitant. «J’ai travaillé sur une écriture contemporaine qui serait une dérivation de la façon de penser la polyphonie à la Renaissance» explique-t-il. J’ai cherché à me réapproprier ce répertoire, à en faire quelque chose d’original».
Après l’opéra donné à la Villa Noailles, a suivi cette commande : une pièce pour orgue et trompette commandée par Radio France pour l’auditorium de la Maison de la radio, «Laura’s Angel», qui voisine avec des partitions pour orgues de Bach. Là, « un parti-pris de rupture totale avec le répertoire de la musique pour orgue et trompette habituelle ». Dans une étroite collaboration avec Jean-Baptiste Monnot, grand organiste français, il a « tenté de détourner l’instrument de ses qualités d’orgue classique, monumentale, par des sons qu’on cherche à éviter habituellement». Dans un mix d’inspiration avec le film de David Lynch, Fire Walk With Me (le 22 décembre).
Pour le concert de Toulon, le 30 janvier, avec l’orchestre de l’opéra de Toulon, une carte blanche lui a été donnée pour laquelle il a imaginé un Concerto pour piano et tuba, « la combinaison des deux instruments étant inédite ». Une oeuvre dans laquelle , il «commence à explorer un langage personnel, une synthèse de mon travail». Le concert sera diffusé dans l’émission Création mondiale en 2025 sur France Musique.
Et avant cela, il jouera pour le traditionnel concert du Nouvel An au Corum de Montpellier. Mais cette fois, dans les clous !
Le site de Raphaël Lucas, ici.
Le concert de Noël de la Maison de la radio, le 22 décembre « Bach, Préludes et fugues-Trompette et orgue », ici.
Concert du Nouvel an à Montpellier, ici.
Mozart création, le 30 janvier à l’Opéra de Toulon, ici.
Photo à la Une crédit Cédric Matet, photo 2 crédit Villa Noailles, photo 3 Auto-portrait de Raphaël Lucas, photo 4 crédit Raphaël Lucas, photo 5 crédit Abbaye de Sylvanès.