Fils de José Privat, pilier de Malavoi, groupe antillais de référence, Grégory Privat est à l’affiche ce samedi du JAM. Le chanteur et pianiste martiniquais a abandonné une carrière d’ingénieur pour devenir l’un des grands talents de la scène jazz actuelle. Prix Django Reinhardt 2023 du musicien français de l’année, il pourrait être rejoint sur la scène du JAM par un autre antillais célèbre de Montpellier, Franck Nicolas.
Il y a 45 ans, en 1980, naissait le collectif Jazz Action Montpellier sous l’impulsion de musiciens passionnés par le langage de Miles Davis et ayant l’envie d’un endroit où se retrouver, improviser, s’exercer inlassablement à jouer des standards et essayer d’en créer ensemble de nouveaux (qu’importe qu’ils demeurent confidentiels ou non) .
Puis vient le désir obsessionnel de transmettre les savoirs plus sérieusement, de créer cette fois des vocations, de faire émerger des talents en leur apportant l’érudition nécessaire et en leur faisant côtoyer la scène dans les meilleures conditions pour qu’ils puissent par la suite s’exprimer avec facilité partout où le vent les porte et maîtriser le plurilinguisme propre au jazz. L’Action des montpellierains devint une école.
L’influence de Michel Petrucciani
C’est en 1995, après plusieurs déménagements, que le JAM tel qu’on le connaît actuellement voit le jour aux Près d’Arènes, sur 1000 m carrés qui furent jadis les anciennes écuries de la gare de triage. Et pour inaugurer la salle de concert qui porte toujours son nom inscrit en néon bleu (comme la note) à l’entrée, on fit venir la légende vivante Michel Petrucciani.
À cette période, le virtuose vauclusien était couvert d’éloges pour son union avec l’organiste martiniquais Eddy Louiss avec qui ils accouchèrent des deux volumes de Conférence de Presse captés au Petit Journal Montparnasse. Un enregistrement qui fut album instrumental de l’année aux Victoires du jazz de 1995 et un grand succès auprès du public.
Au même moment où le JAM faisait peau neuve, à quelques milliers de kilomètres plus au sud-ouest, à Saint-Joseph, ce futur classique intemporel de l’alchimie piano/orgue Hammond arriva aux oreilles d’un autre martiniquais. Un gamin d’une dizaine d’années prénommé Grégory, grâce à son père José Privat, pilier de Malavoi, groupe antillais de référence, dans lequel il était pianiste-organiste !
Et c’est la véritable claque, une révélation, pour notre auditeur en culotte courte. Dès lors, en plus de la biguine, du bèlè, de la mazurka, du gwoka voisin et de toutes les autres musiques caribéennes (qui mériteraient chacune une inscription au patrimoine immatériel de l’UNESCO) dont il se nourrissait depuis le stade fœtal, le futur leader dévora le jazz et sut qu’il y consacrerait tout son temps sur l’instrument familial aux touches en bois d’ébène apprivoisé depuis ses 5 ans.
(Extrait de Conférence de Presse, le morceau Rachid, composé par Michel Petrucciani, qui a déclenché chez le jeune Privat son intérêt ad vitam æternam pour le jazz)
Le piano bénéficie d’un incroyable savoir-faire local dont le jeune Grégory Privat, en plus de la transmission de son géniteur, a pu se saisir. L’archipel comptabilise en effet un nombre incroyable de pratiquants de renom (le plus grand nombre au mètre carré sur Terre ?) : Marius Cultier, Michel Sardaby, Alain Jean-Marie, et Mario Canonge pour ne citer qu’eux.
Prix Django Reinhardt 2023
Près de 30 ans plus tard, en 2023, Grégory rejoignit Michel et Eddy dans la liste des lauréats du prestigieux prix Django Reinhardt décerné par l’Académie du Jazz au musicien de l’année (et dire qu’il y a à peine une dizaine d’années, il a failli se contenter d’une vie « classique » d’ingénieur en télécommunications…)
Une récompense suprême qui coïncidait avec la sortie de son huitième album Phoenix sorti sur son propre label, Buddham Jazz, ce qui est synonyme d’une liberté totale en terme de création, ce que notre piano hero recherchait.
Sur cet opus, il approfondit avec les mêmes complices, Chris Jennings à la contrebasse (agrémentée d’effets) et Tilo Bertholo à la batterie (et aux pads), sa brillante fusion inventive entamée en 2020 sur son album Soley. À savoir un jazz fait d’une pop électrique exaltée par des chants créoles. La voix, un instrument que Privat a perfectionné en quelques années au point que l’on puisse dire de lui aujourd’hui qu’il est autant chanteur que pianiste.
(Le single Supernova extrait de l’album Phoenix)
Quand Grégory Privat rime avec Franck Nicolas
En Février dernier, le martiniquais présentait ce projet au Théâtre Christan-Liger à Nîmes. Et sur la chanson contestataire Chlordeconomy évoquant les ravages évitables de la chlordécone utilisée dans les bananeraies de son île aux fleurs, il convoqua sur scène un autre fer de lance du jazz antillais -qui le défend au point d’avoir fait une grève de la faim il y a quelques années pour protester contre la discrimination faite par les programmateurs de festivals à l’encontre de ce courant- l’inventeur du « Jazz Ka » en personne, Monsieur Franck Nicolas. Guadeloupéen fier de ses racines mais aussi un montpellierain d’adoption qui connaît parfaitement le JAM où il a donné des milliers d’heure de cours, sa trompette ou ses conques entre les mains.
Entre Franck et Grégory, c’est une histoire sérieuse. Déjà en 2013, ils jouaient ensemble dans le Psychédélick Trio avec le batteur Arnaud Dolmen (lauréat du prix Révélation aux Victoires du jazz 2022), et dernièrement, ils viennent de sortir en autoproduction l’album Soley Hypnotik, signé en duo, où comme son nom l’indique on en ressort éblouit autant qu’hypnotisé. En témoigne le morceau titre :
Le trompettiste sera-t-il à nouveau l’invité surprise du trio de Phoenix lors du concert à la Salle Michel Petrucciani ? À moins d’un problème d’agenda, la réponse paraît évidente !
Samedi 11 janvier au JAM, à partir de 21h. En savoir +, ici.
Photos crédit Grégory Privat
