La danse à Montpellier : des envies de prise de la Bastille

A Montpellier, un recrutement est en cours pour la nouvelle direction d’une nouvelle entité fusionnant Centre chorégraphique national et le festival Montpellier Danse qui voit partir son directeur historique Jean-Paul Montanari. LOKKO a demandé à des personnalités de la culture d’exprimer leur désir et leur vision sur ce que pourrait être cette future maison de la danse, unique en Europe : Vincent Cavaroc, directeur de la halle Tropisme, Lorène Delcor, directrice du Swing Festival, Lahouari Maachou, figure de la break dance et Dirk Korell, producteur de spectacles de danse et médiateur culturel. De leur côté, 65 artistes de la région se sont regroupés dans un collectif pour faire entendre leurs voix au moment où se tourne une page importante de cette discipline-reine de la culture montpelliéraine.  

« L’agora est comme un bon gâteau qu’on ne peut pas manger »

LAHOUARI MAACHOU, danseur, chorégraphe, est une figure de la break dance à Montpellier. Directeur de la Maison pour Tous Mélina Mercouri, il a été le coordinateur du breaking pour l’Occitanie à la Fédération Française de Danse pour les JO 2024.

Cette question me touche depuis tellement longtemps. L’arrivée de la breakdance aux Jeux est un levier que j‘utilise. Hélas, le breaking a vécu un mauvais concubinage avec Montpellier Danse. Quand on regarde l’histoire de la danse à Montpellier, il y a toujours eu la danse contemporaine, d’un côté et le breaking de l’autre. La danse a côtoyé un peu le hip hop, de temps en temps, pour dire on touche un peu à cette discipline mais il n’y a jamais eu un travail de fond. Les élus, les institutions me disent toujours qu’ils et elles ont envie de hip hop, que c’est un formidable levier pour la jeunesse mais depuis quelques temps, c’est allé en se dégradant. Certaines compagnies ont fui Montpellier. Peu se maintiennent en vie. Il n’y a pas de lieu pour les accueillir. Ou alors une semaine par ci et par là…, ce n’est pas possible. Montpellier mérite mieux. Moi, j’ai dû en sortir pour faire des choses à l’extérieur où on fait appel à mon expertise. Je suis amoureux de cette ville qui a un potentiel énorme sauf que les volontés ne sont pas là ou ailleurs…

On me dit souvent qu’il n’y a pas de lieu pour la breakdance. J’ai quand même obtenu un local ACM sur la ville du Crès où nous avons initié un projet 100% breaking. En 2 ans, on a réussi à faire des choses que beaucoup ne feraient pas en 10 ans. Dans les Maisons pour Tous, j’ai formé beaucoup de jeunes mais dans des salles à tout faire, après un cours de poterie… A Montpellier, on est en train de prendre du retard dans la breakdance. Montpellier Danse n’a pas fait de bien au hip hop. Ils ont flirté un temps avec nous mais pas plus. Ils ne nous ont pas laissé l’espace et les moyens suffisants. Dans ces conditions, vous allez mal faire faute de moyens. Etant du milieu, Mourad Merzouki a mieux aidé les compagnies à Lyon que Montpellier ne l’a fait. Quand on regarde les saisons de Montpellier Danse, on y voit toujours les mêmes artistes, extérieurs, comme si Montpellier n’était pas capable de promouvoir ses pépites.

L’Agora, c’est bien mais comme un gâteau qu’on nous met sous le nez et qu’on ne peut pas manger ! On a un bel outil mais il n’est pas pour nous ! Ce serait pourtant un lieu-ressource extraordinaire pour faire monter les gens en compétence avec une vraie ambition et pas seulement le lundi entre 14h et 15h. Un vrai laboratoire partagé. J’aimerais être sollicité maintenant et cesser de frapper à toutes les portes. J’ai pensé à candidater. Pas mal de personnes m’ont incité à le faire mais je ne l’ai pas fait. Je serai en tout cas heureux de réfléchir à cet avenir. Tout reste possible !

 

« J’imagine une maison de toutes les danses »

LORÈNE DELCOR, directrice artistique de l’agence de communication Listen’Up Production est la fondatrice du Festival Swinging Montpellier qui a pris de l’ampleur depuis 2019 à Montpellier.

Si je devais imaginer l’avenir de la danse à Montpellier, avant toute chose, j’imaginerais un futur ou toutes les danses entretiendraient un lien singulier avec Montpellier.

J’imagine une maison de la danse qui soit celle de toutes les danses ; un lieu de création, de recherche, d’échanges, de formation ouvert à toutes les esthétiques, à partir du moment où les projets s’inscrivent dans un cahier des charges d’excellence nationale et internationale, et qu’elles participent au rayonnement de Montpellier.

J’imagine une maison cosmopolite, hospitalière, hybride, mixte, résolument agile, innovante et contemporaine dans ses liens à notre société et notre territoire.

J’imagine un festival où Montpellier danse… littéralement. J’imagine une programmation ON centré sur l’art chorégraphique, avec une forte représentation des chorégraphes et compagnies de Montpellier et sa région. Et, adossé à cette programmation, un festival OFF, ouvert, endogène, dans lequel toutes les danses seraient fêtées ; qu’elles soient urbaines, trad, de rue, sportive, sociale, folklorique, quelle que soit la pratique (amateur, semi-professionnel, sociale, populaire), et quelle que soit la forme (démonstration, battle, compétition, initiation, pratique libre, cours, performances…).

Que chaque nouvelle édition du Festival Montpellier Danse soit vécue par tous comme une invitation à danser.   

Je fais le vœu que l’institution dans son rôle politique ouvre des possibles, ne plie pas sous une tradition, qu’elle s’émancipe, qu’elle s’ouvre. 

 

« ll faut que ce lieu se traverse avec les danses et pas la danse »

VINCENT CAVAROC, directeur de la halle Tropisme, a travaillé durant des années à la communication du Centre chorégraphique national quand il était dirigé par Mathilde Monnier.

J’ai passé 7 ans dans cette maison, c’est un lieu exceptionnel. J’ai sillonné le monde entier en tant que producteur de spectacles de danse, avec Xavier Leroy : il n’y a pas de lieu aussi incroyable pour la danse dans le monde. C’est fabuleux cette fusion parce que l’outil de production est incroyable. La danse que je vois pour demain est une danse qui ouvre les portes du cloître. Jean-Paul Montanari a fait un travail extraordinaire mais aujourd’hui, il faut se laisser se déposséder des choses, que ce lieu soit pris par le mouvement, et le mouvement c’est quelque chose qui rentre, qui sort. Ce n’est pas une porte fermée. Il faut que ce lieu se traverse avec les danses et pas la danse. Pour moi, la danse que fait un jeune sur Tik Tok aujourd’hui est aussi intéressante que la grande danse. Il va falloir que tout ça pénètre dans le lieu (en photo avec l’écrivain Alain Damasio).

 

« Un spot d’entraînement comme au Centquatre à Paris »

DIRK KORELL est directeur de camin aktion à Montpellier, qui accompagne le développement de compagnies de danse internationales. Il est aussi médiateur culturel pour pour mineur.e.s non-accompagné.e.s, et réfugié.e.s.

Pour que Montpellier danse (enfin), il nous faut un lieu dynamique et ouvert, offrant de nouvelles perspectives à la scène d’ici : associant une approche internationale pour la programmation, coproductions et résidences, avec enfin une communication au minima bilingue, et une attention pour les artistes régionaux, y compris celleux en situation d’émergence.

L’Agora est un outil unique, et nous ne pouvons qu’espérer que la nouvelle direction plurielle en fasse un lieu dynamique et ouvert, un lieu qui respire, qui communique, qui ouvre au lieu de cloisonner.

Montpellier manque d’espaces pour le travail régulier et informel des danseurs•ses et des gens du mouvement : pourquoi ne pas ouvrir la cour tout le long de l’année, pour en faire un « spot » d’entraînement, de pratique et d’échange, à l’instar du Centquatre à Paris ?

J’appelle de mes vœux une inclusion à des dynamiques solidaires dans la Métropole, permettant une ouverture aux publics dits éloignés de l’offre culturelle, aux jeunes, aux primo-arrivant•e•s : aux futures générations d’artistes du mouvement.

 

Un collectif de 65 artistes veut être reconnu « comme partenaire par l’équipe lauréate »

 

Il y avait longtemps que les acteurs du monde culturel ne s’étaient pas réunis ainsi. Ils ont été bien souvent absents des grandes luttes sociales et politiques récentes. D’où le caratère assez exceptionnel de la réunion de 65 d’entre eux -« artistes, pédagogues, chercheur·euse·s, professionnel·le·s de la communauté de la danse en Occitanie »- sous le nom de « Collectif régional des artistes en mouvement Montpellier Occitanie » (CRAEM) pour prendre leur part de cet aggiornamento de la danse. Ils ont élaboré un « Manifeste du 13 janvier 2025 » signé par des artistes confirmés, déjà programmés à Montpellier Danse comme Salia Sanou ou Fabrice Ramalingon, des figures actives de la ville comme Patrice Barthès, Rita Cioffi, François Rascalou, Didier Théron ou Yann Lheureux, ainsi que de jeunes chorégraphes émergents. Et également l’ancienne directrice du Centre chorégraphique national, Mathilde Monnier. Nous le publions intégralement. 

 

La danse à Montpellier et en Occitanie se trouve à un moment décisif. Les deux institutions majeures, le Centre Chorégraphique National de Montpellier et Montpellier Danse, se verront attribuer une nouvelle direction en commun, au cours du 1er semestre 2025. Les tutelles –ministère de la Culture, Ville et Métropole de Montpellier, Région Occitanie– ont décidé de fusionner ces deux structures en « un projet inédit ». intergénérationnel.

Nous, Collectif Régional des Artistes En Mouvement–Montpellier Occitanie, sommes un collectif de danseur·euses, chorégraphes, pédagogues, chercheur·euses en danse, habitant et œuvrant à Montpellier et en Occitanie. Notre collectif, porteur d’expertises incontestables de la danse, rassemble une large diversité d’esthétiques et une multiplicité de pratiques.

Conscient·e·s de l’importance de ce moment pour l’avenir de la danse à Montpellier, en région Occitanie et au-delà, nous nous réunissons pour nous exprimer d’une voix unie et solidaire afin de réfléchir ensemble à ce futur lieu, « un outil unique en Europe » que nous espérons aussi au service de la danse en région.

Nous sommes désireux·ses de partager nos idées dans un esprit créatif et constructif pour penser de nouveaux imaginaires et récits de danse, à partir desquels chaque acteur·ice–artistes, partenaires, habitants– pourra contribuer à bâtir un art chorégraphique vivant et accessible.

Nous aspirons à ce que l’avenir de la danse à Montpellier, en Occitanie, soit ouvert, florissant, dynamique et vertueux. Nous nous proposons de travailler ensemble à établir un Cahier des « Rêves En Mouvements » nourri d’une démarche vertueuse, constitutive et déterminante de la dynamique de la danse. Il ne s’agit pas de dresser un inventaire, de ce qui a ou n’a pas été accompli jusqu’à présent. En connaissance de cause, nous saisissons cette occasion historique pour réenvisager les modes de gouvernance, et initier des relations participatives, collaboratives, horizontales et inclusives, au sein de notre écosystème. Vigilant·e·s, nous saisissons cette opportunité pour partager nos visions, projeter nos actions futures, favoriser la coopération entre tous·tes les auteur·ices de la danse.

Nous sommes pluriel·le·s, en genres, en âges, en histoires, en cultures, en esthétiques. Nos démarches et parcours, qu’ils soient atypiques ou traditionnels, fondent la richesse de notre collectif. Nous resterons à l’écoute et accueillant·e·s envers toute la communauté de la danse en Occitanie : notre pluralité est notre force. Nous souhaitons être considéré·e·s comme des citoyen·ne·s cosmopolites qui apportent au patrimoine vivant de notre territoire une valeur inestimable. Nous souhaitons œuvrer à une véritable reconnaissance de cette diversité comme une richesse collective, spécifique à notre territoire et son histoire, qui viendrait nourrir une pensée humaniste de la danse.

Nous voulons être reconnu·e·s comme des partenaires par les tutelles et par l’équipe lauréate qui pilotera cet “Équipement d’Intérêt Chorégraphique Global” – de même que par son Conseil d’Administration. Nous plaidons, en termes d’écologie et de gouvernance, pour une prise de responsabilité sociale, environnementale, et une horizontalité des échanges et dialogues ; car par-delà ce projet de fusion, l’actualité politique, culturelle et sociale, nous rappelle la nécessité de se rassembler afin de faire alliance, et porter paroles et actions fortes.

Nous appelons à ce que le nouveau projet de direction de ce lieu emblématique contribue à renforcer une filière professionnelle dynamique, agissante, prospective, solidaire, déjà inscrite dans les spécificités culturelles et territoriales de toute la région Occitanie.

Ensemble, nous œuvrerons à établir des relations transversales et fertiles. Nous rêvons d’une Agora tournée vers sa ville, sa région, et au-delà, connectée au monde. L’architecture de cet ancien couvent des Ursulines réclame de mettre en acte cette volonté d’ouverture, d’accessibilité, de flux, d’hospitalité, de signalétique… afin de développer une écoute effective de son environnement.

Nous sommes disponibles aux tutelles, ouverts aux équipes candidates qui souhaiteraient nous rencontrer : nous saurons être attentifs et force de proposition. Engagé·e·s dans ce nouvel élan, nous partagerons prochainement nos premières réflexions.

 

Les premiers signataires
Anselmi Audrey ; Barrenengo Julen ; Barthes Patrice ; Benquet Karyne ; Bondar Katya ; Boudou Laura ; Bridger Robert ; Buestel Emilie ; Choquet Marie-Adeline ; Cioffi Rita ; Civera Germana ; Dagneaux Virgile ; Dallaï Lorenzo ; Debrock Kirsten ; Dridi Hamdi ; Duboi Julie ; Duclaux Mathilde ; El Kabouss Hamid ; Figueroa Jareth ; Goodhue Lisanne ; Grivet Emmanuel ; Haddadi Moad ; Hofmann Nathalie ; Jaleco Sarah ; Jouret Eve ; Klinger Sylvie ; Lamargot François ; Lheureux Yann ; Lille Laura ; Loubière Patricia ; Mathieu Samuel ; Momier Fanny ; Monnier Mathilde ; Murray Michèle ; Nagata-Ramos Valentine ; Négro Brigitte ; Nevado Christophe ; Odin Lara ; Pages Laurence ; Pantaleo Karina ; Pensé Anaïs ; Pichaud Laurent ; Piqué Muriel ; Pradet Bruno ; Pujol Jos ; Ramalingom Fabrice ; Rascalou François ; Richomme François ; Rizos Konstantinoss ; Rugraff Sonia ; Sanou Salia ; Serran Laura ; Stella Minni Paola ; Storm Marion ; Tali Celia ; Théron Didier ; Thirion Sophie ; Tricha Benjamin ; Villalba Clara ; Vinel Agnès ; Warburton Catherine.

Collectif Régional des Artistes En Mouvement-Montpellier Occitanie, contact : collectifcraem@gmail.com

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Micha Cotte
Micha Cotte
1 jour il y a

Passionnant et porteur d’espoir ! Pour moi un désir profond : s’ouvrir à toutes les danses et ne plus se contenter de quelques formes élitistes de la « danse contemporaine ». Est contemporain ce qui se vit au présent , ce qui se danse ici et maintenant … pour le plus grand bonheur de l’humain.

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