Les fascinantes femmes chiffonnées de Leïla K

Leïla K est un des phénomènes de la danse en France depuis quelques années. A Sète, elle a présenté «Maldonne», sa dernière création qui fait une tournée en France sold-out. La sœur de Zaho de Sagazan y montre une danse féministe, énergique et chorale, absolument emballante.

Ces femmes au sol qui passent la serpillière… Tiens, la même image chez Rebecca Chaillon, vue tout récemment à Montpellier. Et quelque chose de la même revue des déterminismes féminins.

On reconnaît cette danse binaire et hypnotique, construite sur des phrases de transe répétitive, avec des séries d’une dizaine de fois pour un même geste, des corps qui se cassent en deux en se projetant vers l’avant. Ou bien, contrariés, se jettent au sol en accéléré. Des gestes implacablement, presque férocement, reproduits, qu’on voit beaucoup sur les réseaux.

Ces robes fleuries, cette proposition paradoxalement assez genrée, cette intensité entre danse et théâtre fait penser à Pina Bausch dont Leïla K serait une petite-fille post #metoo. Mais on se souvient surtout qu’elle a été interprète dans «May B», la pièce-culte de Maguy Marin et que c’est par là qu’il faut plutôt aller chercher des appartenances. Elle est là aussi sur scène avec 4 autres danseuses formidables : Océane Crouzier, Jane Fournier Dumet, Zoé Lakhnati et Jade Logmo.

La robe est l’emblème de la féminité, elle est à la fois un atour et une camisole, un objet érotique et un outil d’aliénation, et sert à frapper le sol, tordu comme après un essorage, pour évacuer la rage. Des robes empires, à baleines, mais aussi des robes pauvres, des chiffons. En tout, une quarantaine de robes, chinées en friperies, volent comme les carcans dans cette pièce.

Le spectacle est agencé en une série de tableaux dont un étonnant play-back sur le «Je suis malade» de Serge Lama par Lara Fabian, où les danseuses s’époumonent avec cette sentimentalité féminine un peu grotesque. Également cette autre séquence qui dit la mièvrerie des ballerines aux saluts affectés, ou encore ces lavandières aux crépages de chignons tout en mimiques parodiques exécutées à toute vitesse.

Ce sont des corps qui se cherchent une grammaire, et un sens. Chez Leïla K, l’énergie est une pensée. Le mouvement actionne et guide les avancées, ce qui est gagné sur soi.

Art mineur et majeur se mixent dans un relativisme assumé. Le Dance Me to the End of Love de Leonard Cohen côtoie l’électro et Vivaldi. On comprend la fascination que la chorégraphe inspire même si le découpage en séquences, et cette écriture pop bien dans l’époque, prive d’une amplitude dont le spectacle contient la promesse. 

Avec son écriture chorégraphique dont les ventres sont l’épicentre, elle travaille sur les émotions émancipatrices autant que les empêchements hérités, sur les énergies fertiles autant que sur les angles morts. En plus du sens premier de «maldonne» qui évoque la maladresse du croupier au moment de mettre en jeu les cartes, Leila K «aime qu’on entende madone, mais aussi l’idée qu’il faille rebattre les cartes. Il faut recommencer parce que quelque chose ne va pas pour les femmes dans le monde tel qu’il est aujourd’hui. Il y a encore des combats nécessaires» a-t-elle commenté.

Une oeuvre qui vient rejoindre les riches imaginaires contemporains sur la sororité, portée par un collectif qui tire sa force de sa choralité, même si de temps en temps, une des filles dysfonctionne, sort du champ, vient opposer sa propre dissonance au groupe, avant d’être avalée à nouveau.

Une signature qu’on n’a pas fini de voir dans le champ chorégraphique.

Un documentaire sur « Maldonne » à voir sur Arte.TV, ici. 

Photo Cie Leïla K. 

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