La culture dans l’Hérault : histoire d’un emballement et de coupes très sombres

Le projet du Département socialiste de l’Hérault de sabrer dans son budget culturel affaiblit encore plus un secteur exsangue : 5 millions d’euros en moins aux artistes et aux lieux de diffusion. Presque la moitié du budget alloué à la culture. Une légère économie dans un budget de 2 milliards, très lourde de conséquence. Décryptage.  

En début de semaine, à la faveur d’une fuite d’une réunion des vice-présidences, Libé écrivait : «Le département PS de l’Hérault supprime 100% de ses subventions à la culture» avant de préciser à l’intérieur de l’article qu’il s’agissait «de la part culturelle non obligatoire», c’est-à-dire les subventions au spectacle vivant : aux lieux de diffusion, et aux  artistes. 5 millions d’euros sur 12 millions versés à la culture. L’annonce a fait l’effet d’une allumette dans un contexte hautement inflammable.

Violent et fainéant

Reprise quasi à l’unisson des médias, émotion sur les réseaux, indignation du monde culturel, condamnations syndicales : le patron du Conseil général de l’Hérault, passe, depuis, un sale moment. Curée médiatique : il s’est fait traiter de «violent» et «fainéant» par Jean-Michel Apathie dans l’émission «Quotidien». Et indignation unanime des syndicats de la culture.

Du coup, il a été totalement inaudible quand il a tenté de se justifier dans un communiqué qui fait état d’une réduction de 48% seulement, avec des dépenses maintenues globalement pour la culture à hauteur de 5 à 6 millions d’euros. Cela concerne les grands établissements comme le domaine d’O à Montpellier et le Domaine de Bayssan, à Béziers. Des médiathèques aussi, de la lecture publique, des écoles de musique, de la culture pour l’enfance protégée, les interventions culturelles dans les Ehpad, notamment. «C’est un faux nez !», «une justification scandaleuse !» : son ajustement n’a pas convaincu dans un monde du spectacle chauffé à blanc où l’on ne veut pas entendre parler des aides dites « obligatoires », dissociant les dépenses-maison à celles destinées à l’extérieur, sous forme de subventions au secteur. Bien qu’il s’agisse aussi de culture et d’emplois.

Des départements au bord de la faillite

Kléber Mesquida ne s’en cachait pas. Il préparait le terrain depuis des mois. Aux journalistes, il disait : «On ne peut plus financer le sport, la culture et les associations».  «La situation est complexe, inquiétante, angoissante» avait-il insisté en décembre devant 160 maires et présidents d’intercommunalités.

C’est une vraie crise, très sévère qui hante les leaders des conseils généraux français. Les économies imposées par l’état dans la loi de finances 2025, ses ponctions sur les recettes fiscales et la baisse de ses dotations les étranglent. Et poussent au sacrifice. La Haute-Garonne aussi a raboté 50 % de son budget alloué à la culture. «La terreur de Mesquida, c’est d’être mis sous tutelle par la Préfecture. C’est humiliant. Il perd tout pouvoir et ne pourra plus construire un kilomètre de goudron» analyse un ancien cadre du Département.

Ce harakiri budgétaire : peut-être aussi «un coup de billard à 3 bandes» selon le mot d’une syndicaliste, un peu comme le département de l’Aisne, qui a volontairement voté un budget en déséquilibre (ce qui est interdit par les règles de comptabilité publique) pour être entendu à Paris.

«On le sentait venir»

Ce projet de réduction des subventions est un pas de plus dans la marche funèbre de la culture au Département depuis plusieurs années. En avril 2024, par un message laconique sur son site, le Département stoppait le prêt gratuit de son service Hérault Matériel Scénique (HMS) qui était utile à des centaines d’associations. Un choc pour tout le monde.

Les coups de fil aux compagnies pour dire qu’elles ne seraient pas subventionnées s’étaient multipliés. Depuis un moment, la collectivité taillait dans ce qu’elle pouvait. Même certains spectacles qui figuraient déjà dans des programmes ont été zappés. C’est ce qui est arrivé à Félicie Artaud, metteuse en scène montpelliéraine de la compagnie Jolimai, avertie par téléphone que ses deux dates prévues à Bayssan étaient supprimées.

Il y a quelques semaines, Thierry Negrou, le directeur de la culture au Conseil général, avait décliné l’invitation d’acteurs culturels pour « parler d’avenir » dans un mail qui leur apprenait à l’occasion que 2025 serait, pour eux, «une année blanche». Du coup, Sandrine Mini, directrice du théâtre Molière de Sète, avait déjà prévu de renoncer à un chapiteau de cirque à Frontignan et réduit ses achats d’espace dans la presse à hauteur de 80 000€ correspondant à ce qu’elle attendait.

«Mais il y a plusieurs années que les compagnies indépendantes ont été flinguées» commente Julien Bouffier de la compagnie Adesso e Sampre. « A l’heure actuelle, notre problème, c’est le théâtre d’O (ndlr : petit théâtre au sud du Domaine d’O à Montpellier). Un théâtre qui appartient au contribuable et a été fermé. On n’y a plus accès. Nous n’avons plus le droit d’y être accueillis en résidence depuis un an. On nous oblige à le louer ! C’est scandaleux».

Les mésaventures de Félicie Artaud illustrent bien cette dégradation graduée : elle a vécu le luxe d’un conventionnement (un soutien pérenne) avec le Département, puis l’a perdu, puis elle a dû renoncer à une résidence au théâtre d’O. Ainsi qu’à la location gratuite de matériel via HMS. Enfin à une tournée dans les collèges dans le cadre de « Collèges en tournée »: «un dispositif exemplaire, ingénieux et tellement précieux pour des tas de compagnies et pour les élèves qu’on visitait. Certains n’avaient jamais vu de théâtre».

« Les artistes sont désespérés » explique-t-on au Syndeac, le principal syndicat de la culture subventionnée, qui accompagne les compagnies en souffrance.

Le déclin de l’empire héraultais

Dans les commentaires affleure la nostalgie des anciens présidents André Vézinhet et Gérard Saumade, avant lui, qui avaient une foi plus solide en la culture. Certes, dans des temps plus glorieux où l’on n’hésitait pas à faire des chèques. Ce qu’une personnalité de la culture montpelliéraine appelle «un lien d’intimité entre la culture et le Département», depuis Jean Bene et la création du Centre culturel du Languedoc, rue Lakanal à Montpellier, puis la création du Printemps des Comédiens sous Gérard Saumade (avec des représentations marquantes dans ce chateau d’O ci-dessus), devenu le deuxième festival de théâtre de France après Avignon. L’ODAC aussi, un organisme qui travaillait sur tout le territoire. Des sigles qui sonnent doux aux oreilles comme des vestiges d’un âge d’or.

Un style abrupt

La pénurie financière n’est peut-être pas la seule clef pour comprendre ce qui se passe. Baron socialiste de 80 ans, un rien rugueux, Kléber Mesquida paraît peu en phase avec le monde culturel. Ses sorties sont souvent musclées. Il a parlé de passer son budget «aux ciseaux, à la tronçonneuse, au sécateur». Son administration n’est pas un modèle de tact non plus pour le secteur. «Notre administratrice s’épuise à envoyer des mails qui restent sans réponse» confie une metteuse en scène. «Une incompréhension profonde de nos métiers» cingle-t-on à la direction d’un théâtre.

Incertitudes sur le Printemps des Comédiens

Même sur la partie, obligatoire, sécurisée, de l’aide départementale à la culture, il y a des inquiétudes. Tout le monde sait que Kléber Mesquida et Jean Varela, le directeur du Printemps des Comédiens, ne passent pas leurs vacances ensemble. Surtout, Mesquida rechignerait à continuer à financer le domaine d’O alors que la Métropole en a hérité (une bizarrerie qui date de la loi NOTRe/relire à ce sujet, cet article dans LOKKO). 

Dans son communiqué, le Département évoque le maintien de son soutien au domaine d’O à hauteur de 3 millions d’euros, mais élude sa contribution de 1,5 millions au Printemps des Comédiens (soit la moitié de son budget). Un «détail» qui n’est pas passé inaperçu au festival et fait craindre que Mesquida prépare la possibilité juridique de reconsidérer son deal avec la Métropole. Même si ce deal, est, en principe, gravé dans le marbre… Et quid des autres festivals comme Arabesques ?

Pour le domaine de Bayssan (photo), c’est également tangent. Ce complexe culturel, à la sortie de l’A9, avec un  luxueux auditorium de 1000 places, et plusieurs chapiteaux -qui a coûté plus de 10 millions d’euros-, est sommé de faire des économies. Seulement une quinzaine de soirées d’ici juin à l’affiche. Des spectacles ont été déprogrammés. Le vaisseau amiral de la culture de l’ouest du département est en demi-sommeil.

Le syndrôme Morançais

Ce qui se passe dans l’Hérault rappelle à beaucoup l’affaire Christelle Morançais, du nom de la présidente de la région des Pays de la Loire qui a amputé son budget culturel 2025 de 62%. Une décision assortie d’une saillie tristement fameuse : «La culture serait donc un monopole intouchable ? Le monopole d’associations très politisées qui vivent d’argent public». «On pressentait que cette manière décomplexée allait ouvrir une brèche» analyse un observateur fin du milieu. Avec la montée des populismes, Mesquida pensait que cela passerait. Que ce soit un élu de gauche doit nous interpeller… »

Pour l’intermittence, « ça va taper »

Comme toujours, les plus grandes victimes seront les intermittents du spectacle, qui bénéficient d’un régime d’assurance-chômage unique, perpétuellement menacé. «Les structures vont se recentrer sur leurs salariés quand elles en ont et qui seront sous pression. Mais on va surtout vers un sacrifice des intermittents. Pour ces derniers, ça va taper» commente Claire Serre-Combe, secrétaire générale du Synptac (*).

1 intermittent sur 3 serait touché. Triste ironie : beaucoup viendraient pointer au RSA… géré par le Département. 

La pression sur Montpellier

Du côté de la métropole, chaque fois que le département laisse tomber un bout de sa culture, on tremble. Pas tant pour ses structures-phare : le Département ne finance pas l’Opéra ni le festival Montpellier Danse. Le Centre dramatique national devra économiser 25 000€ (part supposée manquante mais les 13 Vents n’ont pas eu d’informations précises) mais il s’en remettra, tout comme le festival de Radio-France avec une perte de 100 00€.

Ce que l’on craint, c’est de devoir compenser ces trous dans les budgets. Le bloc communal constitué de la ville de Montpellier (10 millions d’euros par an pour la culture) et de la métropole (78 millions) est largement en tête des collectivités locales pour le financement culturel. Du coup, tous les regards se tournent vers Michaël Delafosse, possiblement mis sous pression pour compenser le désengagement du Conseil général.

Comme beaucoup de structures fonctionnent avec un tour de table (ce qu’on appelle « les financements croisés »), il est à craindre que, si un partenaire se retire, les autres seront tentés de déserter. C’est un autre aspect de «l’effet domino» dont tout le monde parle. Un échafaudage culturel qui tremble sur ses bases.

Un budget voté en mars

La mobilisation s’organise. Jeudi soir, sur la scène du théâtre Molière, sa directrice Sandrine Mini, délégué régionale du Syndeac,  a fait un selfie avec Johanna Nizard qui venait de terminer son spectacle «Il n’y a pas de Ajar» selon un mode militant qui se déploie désormais dans les lieux culturel en France depuis plusieurs mois, accompagné d’un discours combatif (photo).

Ce jeudi, un communiqué a été envoyé aux rédactions, signé par 10 grands syndicats du spectacle vivant, qui annonce la couleur : «Le budget du Conseil Départemental sera voté définitivement entre le 24 et le 26 mars 2025. Nous sommes déterminé·e·s et resterons mobilisé·e·s jusqu’à ces dates pour qu’une telle proposition ne soit pas votée par les élu·e·s départementales·aux». Un débat, préalable, d’orientation budgétaire, est fixé au 17 février. Mais Kléber Mesquida dispose d’une très solide majorité dans son assemblée. 

On sent partout une certaine résignation sur ce que Laurent Eyraud-Chaume, comédien et animateur d’un projet culturel en milieu rural, appelle récemment dans Le Monde, «le recul de l’esprit public». Un metteur en scène montpelliérain prophétise : «Demain va être pire !»

 

Photos à la UNE crédit Pixabay, Kléber Mesquida crédit Département de l’Hérault, le domaine d’O crédit Montpellier-Tourisme, domaine de Bayssan crédit K-architectures.

(*) Syndicat des personnels technique, administratif et d’accueil du spectacle vivant et de la prestation technique.

S’abonner
Notification pour
guest

1 Commentaire
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Renée
Renée
22 jours il y a

J’ai travaillé au Centre Culturel du Languedoc jusqu’à ce que un nouveau directeur arrive (Jean Michel Capuano) et nous vire tous. Aujourd’hui c’est mesquida qui flingue tout depuis des années après avoir viré Jean Varela et Hélène Larose qui faisaient un boulot formidable, il a flingué sortie ouest…il a flingué la culture dans le Minervois (Nez au vent); il agit comme un monarque effectivement avec une cour de minables comme fabre de roussac. Une honte absolue.

Articles les plus lus

1
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x