Stan Cuesta : « Bob Dylan, c’était une bombe ! »

Critique musical, Stan Cuesta voue une véritable passion à Bob Dylan auquel il a consacré un livre Dylan Cover. Il était invité à l’avant-première du film Un parfait inconnu de James Mangold avec Thimothée Chalamet, au Grand Rex à Paris, en janvier : « un film très réussi ».

LOKKO : Dans votre livre sur la discographie de Bob Dylan, vous écrivez : «J’écoute Dylan, j’écris sur Dylan, je vis avec lui depuis des lustres. Je l’aime et je le déteste suivant les périodes». C’est une véritable passion !

STAN CUESTA : Oui, depuis que je suis gamin. C’est quand même le plus grand auteur-compositeur du 20ème siècle. Moi, j’ai commencé à écouter de la musique dans les années 70, et il n’y avait pas tant de choses. Les grands noms avec lesquels j’ai commencé étaient les Beatles, les Stones, Bob Dylan et Neil Young. C’était énorme à l’époque. A la fin du film, Dylan a un accident de moto et il disparaît. Il va se cacher pendant plusieurs années. J’ai commencé à m’intéresser à la musique précisément à cette période pendant laquelle il n’était plus apparu. Quelque chose comme 4,5 ans. Et ça l’a rendu encore plus mythique. A l’époque, on parlait d’autant plus de lui qu’il ne se montrait plus. Oui, c’était énorme et ça ne m’a jamais quitté depuis. Même si, dans les années 80/90, il a fait des disques affreux….

Vous avez été invité, le 15 janvier, à l’avant-première du film à Paris avec Thimothée Chalamet (photo) ? Quel souvenir ?

Dans le Grand Rex, qui est énorme -2000 places-, il y avait les invités mais des places avaient été achetées par les fans de Thimothée Chalamet. Il y avait de l’ambiance… L’acteur a raconté qu’il avait passé 5 ans à apprendre la guitare, à apprendre à chanter. Il est formidable, très ressemblant, avec cette voix nasillarde. Le film est très réussi. Il y a des gens qui hurlent parce que ce n’est pas exactement comme ça que ça s’est passé mais on s’en fout ! Certains se sont amusés à pointer les erreurs biographiques. Par exemple : Dylan rencontre sa femme, Sara, pendant qu’il était avec Joan Baez, alors qu’elle n’apparaît pas dans le film. Suze Rotolo, jouée par Ellen Fanning, s’appelle Sylvie dans le film, à la demande de Dylan. Il faut le voir comme un bon film de fiction et pas un biopic. 

Le fameux concert où il affronte les puristes du folk, avec une guitare électrique, lui, est vrai.

A quelques détails près… Il y a un livre important à citer : Bob Dylan électrique, chez Rivages rouges, qui vient de ressortir en poche. Son titre complet est Bob Dylan électrique, Newport 1965, histoire d’un coup d’état. C’est de ça que parle le film. Un concert mythique, mille fois raconté. L’auteur Elijah Wald, auquel le manager de Dylan a acheté les droits pour produire le film, a d’ailleurs vécu à Montpellier pendant quelques années. Un spécialiste de la musique américaine, qui est aussi un musicien itinérant. 

Que penser du personnage de Joan Baez (Monica Barbaro dans le film), que vous connaissez bien. Vous l’avez rencontrée longuement, écrit un livre sur elle. On sait que c’était houleux entre eux. Le film le montre bien d’ailleurs. Pour Dylan, ses chansons étaient « comme des aquarelles pour un cabinet dentaire »

Le film en fait une femme forte, dure même, par rapport au comportement de salopard de Dylan, alors que, dans la réalité, Joan Baez a beaucoup souffert dans sa relation avec Dylan.

Vous avez rencontré Bob Dylan ?

Je l’ai vu en concert, mais non, je ne l’ai jamais rencontré. Très peu de gens lui ont parlé. Sauf Yves Bigot, son grand spécialiste en France. Son manager Jeff Rosen le protège beaucoup. Dylan ne fait jamais rien. Il ne parle à personne. C’est lui qui s’occupe de tout. Jeff Rosen, c’est Dylan. Il y a des milliers de livres sur lui, ça fait 60 ans qu’il est là. Il n’en a rien à faire. Même le documentaire de Martin Scorsese, No direction home, il ne l’a jamais regardé.

On voit bien dans le film son insoumission, son horreur du système : «ils veulent que je chante Blowin’ In The Wind jusqu’à en crever». Un Dylan indocile, justement, un génie taciturne, qui n’en fait qu’à sa tête.

Quand la célébrité lui est tombée dessus, il n’a pas du tout aimé ça. C’était un gamin ! Pendant sa conférence de presse en 1966 à Paris, au sommet de sa gloire, il a été odieux avec les journalistes. Sur la scène de l’Olympia, il a mis un temps fou pour s’accorder, les gens hurlaient. Il tournait le dos au public, s’arrêtait au milieu d’un morceau pour quitter la scène. Il n’a absolument rien d’un entertainer… Il n’est pas là pour faire plaisir au public.

Le choix de la période de ses débuts, dans le film, c’est aussi la période «dorée» dont vous parlez dans votre livre, où il bâtit sa légende. 

Il a tout changé dans la musique. C’est le premier poète du rock, ça n’existait pas avant lui. Le rock était une musique de jeunes, avec des paroles niaises, avant Dylan. Il va influencer tout le monde. Les Beatles ont évolué et changé grâce à lui (on dit qu’il leur a fait fumer leur premier joint). Lennon était fasciné par Dylan et il a commencé à écrire des textes intéressants après l’avoir entendu.

A propos de ce fameux disque The Free Weelin’ avec le célèbre Blowin’ in The Wind -et cette pochette avec Suze Rotolo, son premier amour-, vous dites qu’il «révolutionne du même coup l’art d’écrire les chansons, le folk, le rock et bien plus puisque le monde ne sera plus exactement le même après ce deuxième album». 

Même quand il chantait avec une guitare sèche, c’était nouveau. Dylan, c’était une bombe ! Le revival folk était soit gentillet, commercial ou alors très politique, très sérieux, presque chiant. Il est arrivé comme un poète fou parmi ces chanteurs engagés mais ce n’était pas son truc. C’était d’ailleurs un sujet de discorde avec Joan Baez.

Il a quand même fait de la protest-song quelques temps puisque vous dites qu’il a été inspiré par Woodie Guthrie qui se vivait en «journaliste chantant».

Peu de temps : les années 62/63 avec The Times They Are A-changin. C’était plutôt un genre auquel il se pliait.

The answer, my friend, is blowin’ in the wind : cette poésie minimaliste, secrète, avec plusieurs sens possibles, c’est cela son apport. Quelles étaient ses influences ?

Il était plus fin que la plupart des chanteurs de l’époque, très premier degré. Il a souvent dit que Sur la route de Kerouac avait changé sa vie. Il a été très pote avec Allen Ginsberg. Il a lu les poètes français de la fin du 19è (Rimbaud), comme Patti Smith d’ailleurs, qu’il a beaucoup influencée. Il faut aussi chercher ses influences du côté des musiciens du blues des débuts, avec toute une culture de sous-entendus dans cette musique noire, liée à leur condition.

Mais pour vous, LE disque c’est Highway 61 Revisited, avec Like a Rolling Stone, en 1965.

Le meilleur, oui. On voit d’ailleurs dans le film l’enregistrement de Like A Rolling Stone où se trouve l’expression A Complete Unknown qui a inspiré son titre. S’il n’y en avait qu’un à retenir, ce serait celui-là.

Il fait toujours des tournées Dylan, à 83 ans.

Je l’ai vu en 2023 à Perpignan pour sa tournée française. Il a toujours fait des concerts très différents des disques, toujours surprenants, décevants parfois. A Perpignan, il avait intégralement joué son nouvel album, sans aucun de ses tubes, ce qui avait beaucoup déçu les gens. Il est au piano maintenant (un problème de dos l’empêche de jouer de la guitare) et ça change le son, ça n’a plus rien à voir avec ce qu’il faisait dans les années 60.

Il est un peu has been, peut-être. Les jeunes ne le connaissent pas.

On ne l’entend jamais à la radio et je ne pense pas qu’il soit sur TikTok. Mais le film va aider à le remettre au goût du jour avec la génération des fans de Thimothée Chalamet. Le Grand Rex était plein de jeunes filles qui hurlaient. Des disques vont sans doute ressortir. C’est très bien !

 

Les livres de Stan Cuesta

Dylan Cover, une discographie complète avec 80 albums présentés aux éditions du Layeur. On trouve ce livre à la médiathèque Emile Zola, plus sûrement chez les soldeurs qu’en librairie.

Joan Baez fait partie de la collection Indociles qu’il a initiée chez Hoëbecke, ici.

Sa dernière parution : La musique a gâché ma vie (Antidata), un premier recueil de nouvelles. Paris, les années soixante-dix, la musique, toutes les musiques, l’amour, la liberté, la corrida, il raconte avec une bonne dose d’autodérision et une bien belle plume une vie pas si gâchée, ici.

Dans LOKKO :

Sa play-list, ici, et une ITV sur la collection Indociles, dédiée « aux contestataires, aux anticonformistes, aux irréguliers » de la musique, ici.

 

Photos du film Copyright 2025 Disney, photo de Stan Cuesta crédit Fleur Schut.

 

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