Bob Dylan, les versions hexagonales

Avec «Un parfait inconnu» de James Mangold, avec Thimothée Chalamet, Bob Dylan est remis au goût du jour. En France, un chanteur en est un spécialiste, adaptant des dizaines de ses chansons : Hugues Aufray. Un artiste décisif aussi pour Francis Cabrel et quelques autres. Mais Bob Dylan, lui, ne s’intéressait qu’à Françoise Hardy…

Hugues Aufray : 5 albums sur Dylan

Cocasse : à peine Trump s’installe-t-il à nouveau derrière le bureau ovale à la Maison Blanche, qu’on apprend que Robert Zimmerman reprend la route pour une tournée américaine. Celui qui, comme le boss Springsteen n’a jamais fait mystère de ses préférences pour le camp démocrate, par ailleurs très ami avec l’ancien président Jimmy Carter. Le nouveau président américain peut bien tenter de récupérer l’image de Martin Luther King, ceux qui étaient présents à la marche de 1963 pour les droits civiques, c’était bien Dylan et Joan Baez.

On sait l’importance qu’a eu Dylan dans son pays. L’hexagone aussi a ressenti le choc Dylan. Pas de même amplitude sur la carte des impacts sismiques provoqués par les Stones ou Beatles, mais tout de même. Exemple : la sortie, en 1965, de l’album «Aufray chante Dylan» avec des traductions/adaptations de Pierre Delanoé. Surprenant à plus d’un titre car l’auteur passait pour réactionnaire. On lui doit, entre autres, un hymne gaulliste : «Tu le regretteras» chanté par Gilbert Bécaud, sorti en 1965 quand le dit Général était en difficulté.

Hugues Aufray remettra le couvert à différentes reprises. Trente ans plus tard, cet album d’anthologie avec un double opus intitulé : «Aufray TransDylan». Puis en concert au Casino de Paris (en 1998) qui fera l’objet d’un album public contenant 17 chansons de BD (sur un tour de chant de 27 complaintes). Bien plus tard enfin, en 2009, avec l’album «New Yorker». Pratiquement seulement composé de duo, avec à l’affiche : Arno, Souchon, Johnny, Eddy Mitchell, Laurent Voulzy, Bernard Lavilliers, Francis mais aussi Didier Wampas et même Carla Bruni ! Quelques reprises de l’album «mythique» de 65 mais aussi de nouvelles adaptations, cette fois de Aufray lui-même.

Hugues Aufray l’a lui-même dit : il ne traduit pas Dylan, il l’adapte. En 44 ans, l’éternel jeune homme de 95 ans a eu le temps de s’initier à l’univers dylanien sans se mettre à l’anglais, pas plus que Dylan ne s’est familiarisé avec la langue de Voltaire. Alors que Joan Baez qui règle ses comptes dans ses mémoires («Une voix pour chanter») avec son ex boy-friend, s’exprime, elle, très bien dans notre langue. Ce qui a fait dire à l’un des grands paroliers de la chanson française, David Mc Neil, avec une assez méchante ironie :  «quelqu’un a dit à Hugues Aufray qui étaient les Rosenberg ?» (1)

La firme «Fontana» (Universal) vient opportunément publier un coffret regroupant les 5 albums d’Hugues Aufray où il interprète Dylan (1965-2009) avec un livret de 16 pages. Dans lequel l’interprète du légendaire «Santiano» raconte que Daniel Filipacchi –grand pape des années yéyé- avait déclaré que ce type (Dylan) qui ne savait pas chanter n’aurait jamais l’honneur de passer dans son émission «Salut les copains». Barclay –son premier label- ne croyait guère non plus aux chances de Dylan de faire carrière…

Le même David  Mc Neil interpellant directement Bob Zimmerman en 1980 dans son album «Rucksack Alpenstock» à travers la chanson «Bye bye Bob Dylan» : «Sur les murs de Jérusalem, j’écris cette chanson pour toi, qui chasse les sorcières à Salem (2), met les violons sur son toit (3), Pas vraiment triste un peu fâché, c’est comme ça qu’on est sans doute, lorsqu’un ami vous a lâché au bout d’une si longue route alors bye, bye Bob Dylan, tant pis si tu crois qu’on peut changer son âme en changeant  d’étoile ou de croix». Zimmerman, le juif, venait de troquer son judaïsme pour la religion catholique. Pour Mc Neil, le fils de Marc Chagall, juif exilé de Russie, arrivé en France à 26 ans, ça ne passe pas ! (4) 

L’amourette Françoise Hardy

C’est en voyant une photo de l’interprète de «Tous les garçons et les filles», signé William Klein en couverture du magazine «Vogue», que Dylan se serait amouraché d’elle. La même année, au dos du 4ème album («Another side»), cette dédicace : «For Françoise Hardy at the seine’s edge, a giant shadow of Notre Dame». Nouvelle «déclaration», l’année suivante avec «Bringing it All Back Home».

Dans son auto- biographie («Le désespoir des singes» sortie en 2008), Françoise Hardy confesse avoir écouté en boucle les chansons de Dylan. Rêvant de le voir sur scène. Ce sera le cas en 1966 à l’Olympia. Après l’entracte, et ayant appris que Françoise Hardy était dans la salle, le sale gosse américain refuse d’assurer la seconde partie si Françoise ne vient pas dans sa loge. Dans la foulée du concert, il y aura une petite fête à l’hôtel Georges V pour l’anniversaire du chanteur en présence de Johnny Hallyday, Hugues Aufray bien sûr… et la divine Hardy. Nouveau caprice de Bob : il la veut seule dans sa chambre pour lui faire écouter les nouvelles chansons de son album «Blonde on blonde». Elle n’y voit pas malice, étant en couple alors avec le photographe Jean-Marie Perrier et Dylan avec la mannequin Sara Lownds. 43 ans plus tard, elle admettra dans ses mémoires avoir été naïve. Mais les deux idoles seront aussi tétanisées l’une que l’autre durant ce rendez-vous qui sera le premier et le dernier.

Un album entier de Francis Cabrel

Pour Francis Cabrel, Dylan a été si décisif qu’il lui consacrera un album entier de 11 reprises en 2012 d’excellente facture. Enfin, le franco-suisse Sarclo (ret) a, lui aussi, sorti et produit un album de 16 titres (chez Bacchanales productions) en 2019 : «Sarclo sings Dylan».

Si le néozélandais Graeme Allwhright a surtout rendu hommage au canadien Léonard Cohen, un peu aussi à Woody Guthrie, Pete Seeger ou Tom Paxton, il n’en a pas pour autant zappé le répertoire de Dylan. Et dès son second 33 tours en 1966. On y trouve une adaptation bien plus enlevée du reste que la version originale de «Who Killed Davey Moore?» devenu «Qui a tué Davy Moore ?». Chanson qui sera reprise par Bernard Lavilliers dans son album «Sous un soleil énorme», en 2023, avec la complicité d’Izia,  Gaétan Roussel, Hervé et Eric Cantona !

Et Marie Laforêt !

Dès 1963, la chanteuse aux yeux d’or (Marie Laforêt) enregistre une version originale de «Blowin’ in the wind», son collègue Richard Anthony gravant, lui, l’année suivante une version française de ce qui restera la chanson emblématique de Dylan.

Dans les années 70, certains magazines trouveront opportun de présenter Georges Brassens comme un possible Dylan dans sa version française. On ne voit pas bien sur quoi ça se fonde. En revanche, Pierre Vassiliu a revendiqué l’héritage du natif du Minnesota. Il chante en 1970, dans «Une fille et trois garçons» : «Puis on a parlé des Beatles, des Pink Floyd et du (Blood) Sweat and Tears, des gens qu’on aime bien de Dylan et de Donovan». Il était alors assez courant d’associer les deux noms.

Michel Delpech, de son côté, a évoqué le grand concert de 1969 à l’île de Wight dans «Wight is Wight : «Dylan is Dylan / Viva Donovan». Un autre artiste fera une allusion directe au répertoire dylanesque, c’est le regretté Jean-Michel Caradec. Dans sa chanson «Pas en France» (1975), les références au répertoire de l’auteur-compositeur américain sont récurrentes : «Mister Tambourine Man, Je suivrai ta route, Il faut chanter ce qu’on aime coûte que coûte /…/ Blowin’ in the wind, C’est la chanson d’espérance, Si on veut s’en sortir, Faut relever ses manches… »

Citons aussi Yves Simon dans «Les Gauloises bleues» (1973) : «Dylan cultivait sa terre quelque part en Angleterre» (comprendre Nouvelle Angleterre). Alain Bashung assurant, lui, dans son premier album paru en 1977 : «Suis cow-boy à Paname oui mais c’est la faute à Dylan». Enfin, Renaud dans «Société, tu ne m’auras pas», en 1975 chantait : «Y a eu Antoine avant moi,  y’a eu Dylan avant lui, on les a récupérés, oui mais moi on ne m’aura pas !». Le chanteur Antoine qui sera le plus proche du look Dylan, cheveux longs, harmonica et guitare, mais sans le reprendre pour autant.

 

(1) Ethel et Julius Rosenberg, couple d’américains communistes. Jugés pour espionnage au profit de l’URSS. Condamnés et exécutés, sur la chaise électrique, le 19 juin 1953 dans la prison de Sing Sing. (David Mc Neil : «Chansons pour Lady Jane» / Saravah, 1973).

(2) Le dramaturge, écrivain et essayiste américain Arthur Miller (1915-2005) fera de cette véritable chasse aux sorcières au XVII siècle dans le Massachusetts un ouvrage sous forme d’allégorie du maccarthisme, célèbre et funeste chasse aux communistes ou sympathisants.

(3) Comédie musicale (1964) relatant les tribulations d’une communauté juive qui vit en marge de la population chrétienne orthodoxe.

(4) A l’été 1979, l’icône de la contre-culture rend publique sa conversion au christianisme avec l’album «Low Train Coming». Dylan, alors âgé de 38 ans, mène un combat sans concession contre Satan. Au nom du Christ. C’est un pasteur qui  avait révélé l’arrivée dans son église de celui qui avait chanté : «Je sais qu’en Amérique, Dieu est à nos côtés. Je l’ai lu dans l’histoire des Américains». Une conversion de courte durée.

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