Sur la carte, passionnés et amateurs de photo placent Arles, Montpellier et Perpignan (*). Mais Sète a disparu : ImageSingulières a quitté les rives de la Méditerranée pour les pentes des Cévennes. Gilles Favier et Valérie Laquittant se sont installés à Aumessas (Gard). Un repli calamiteux ? Non : une relance, dans une démarche repensée, à dominante écologique.
S’est donc tournée la page d’une histoire de vingt ans, écrite par le duo composé de Gilles Favier, photographe et documentariste, au parcours forgé à Libération et à l’agence Vu, et Valérie Laquittant, armée de son expérience d’attachée de presse, notamment à Visa pour l’image. En 2003, ils créent à Sète l’association CéTàVOIR. Leur objectif : «Faire connaître des auteurs documentaires, leur donner les moyens de produire et de partager le rôle social et politique de leurs images.»
A Sète, l’enracinement et le rayonnement
Ainsi, se développent expositions, ateliers dans les quartiers populaires, accueil de photographes en résidence. A la fois l’enracinement et le rayonnement s’amplifient avec le festival de la photographie documentaire ImageSingulières, dans «l’île singulière» célébrée par Paul Valéry. De 2009 à 2023, pendant trois semaines, au printemps, ce grand rendez-vous gratuit occupe plusieurs lieux dans la ville, du Théâtre de la mer à des entrepôts désaffectés, et popularise diverses expressions du regard porté sur la société. Des dates marquantes confirment la place conquise dans le paysage photographique français, comme, en 2014, «La France vue d’ici», la commande à 25 photographes, en partenariat avec Mediapart, de brosser, jusqu’en 2017, le portrait de la France. Cette observation collective se traduit par un site internet, des expositions dans plusieurs villes, dont Paris et Sète et un livre aux très cotées éditions de La Martinière.
Le travail obstiné de Gilles Favier (chemise à carreaux au premier plan sur cette photo) et Valérie Laquittant (cheveux courts) aborde la photo sous maints angles : production et diffusion d’expositions, édition de livres, accueil de photographes en résidence, projections, formation et éducation à l’image, actions auprès des scolaires, médiation, développement de la pratique professionnelle et de la pratique amateur. Un fécond pôle de création et d’animation, avec sa Maison de l’image documentaire, créée en 2011 et déployée en 2021 en Centre photographique documentaire.
En vingt ans, 400 photographes exposés
Pendant deux décennies, cette trajectoire s’est dessinée continûment, pas sans efforts et complications, mais sans tapage, avec près de 400 photographes exposés, environ 720 000 visiteurs et 18 résidences. Mais est venu le temps des difficultés. L’effet Covid, qui, a frappé ici comme ailleurs, la réduction des subventions, l’augmentation des coûts, le souhait de Gilles Favier de mettre fin aux responsabilités de direction artistique conduisent à un épuisement financier et psychologique.
« Depuis des années, nous étions sur le fil du rasoir», raconte Valérie Laquittant. «Nous avons conçu un nouveau projet, en renonçant à l’événementiel, notamment le festival, et en consolidant l’activité à l’année.» La DRAC et la Région ont suivi. Mais la Ville de Sète n’a pas apporté son soutien, marquant ainsi sa préférence pour une offre à même de contribuer à la promotion touristique. En 2023, c’est le dernier festival et la fermeture définitive du Centre photographique, une période «humainement douloureuse» : la séparation avec l’équipe de quatre salariés. Une ère s’achève.
La photo au service du vivant
« Nous avions une petite maison dans les Cévennes», raconte Valérie Laquittant. Parfait, pour une installation à une quinzaine de kilomètres du Vigan, dans un village labellisé «de caractère», pour une retraite paisible ? Nenni ! Aumessas est la base d’un nouveau chapitre de l’histoire d’ImageSingulières. «Avec les membres du conseil d’administration, fidèles au poste, nous avons repensé notre action pour la photo documentaire», explique l’administratrice. «Elle s’enracine dans les Cévennes, terre d’accueil, de résistance, de nature.» Axe principal et novateur : «La volonté affirmée de répondre à l’urgence majeure de la transition écologique, de s’inscrire dans une démarche de création et de production plus responsable et de déployer une activité exigeante au cœur du vivant et au service du vivant».
Cette puissante conviction, politique et personnelle, se conjugue avec la perpétuation des fondamentaux de Gilles Favier et Valérie Laquittant dans leur manière d’accompagner et d’animer la création photographique. Comme à Sète, elle s’enracine par les liens noués avec habitants et institutions : commune d’Aumessas, Parc national des Cévennes, Pôle d’équilibre territorial et rural Causses et Cévennes, Ressourcerie du Vigan, cinéma Le Place au Vigan, Réseau DOC Cévennes (diffusion de documentaires dans une trentaine de communes et festival du films documentaire, en mai, à Lasalle, Gard). « Nous avons été très bien accueillis ici», se réjouit Valérie Laquittant. La légitimité et l’intégration en Cévennes d’ImageSingulières en Cévennes est ainsi acquise. La DRAC confirme fermement son soutien, alors la Région Occitanie l’interrompt. «C’est contradictoire avec sa volonté d’appuyer la culture dans la ruralité», pointe Valérie Laquittant.
Une résidence de Cédric Gerbehaye
Premier acte d’ImageSingulières et axe majeur de ses activités en Cévennes : l’accueil en résidence de Cédric Gerbehaye, déjà reçu à Sète en 2011. Ce photographe et réalisateur belge est membre de la prestigieuse agence Vu. Observateur de la condition humaine, il a été distingué par des prix internationaux et ses œuvres font partie, entre autres, des collections de la Maison européenne de la photographie, à Paris et du Museum of Fine Arts, à Houston.
«Nous savons comment il appréhende un territoire, dans le respect des habitants et des paysages», explique Valérie Lequittant. Cédric Gerbehaye s’est attaché à révéler l’identité et les dynamiques du territoire. L’automne dernier, il a présenté sa démarche, lors d’une projection-débat à Aumessas, devant une bonne centaine de participants. En avant-première nationale, il a aussi montré, au Vigan, son premier long-métrage, La Peine, film sur la condition carcérale, né d’une longue immersion dans une prison de la région de Bruxelles. La restitution de ses séjours dans les Cévennes aura lieu à Aumessas, sur une place du village, du 5 juillet à fin août, avec une exposition façon ImageSingulières : gratuite et avec des photos produites sur des matériaux recyclés et recyclables. Une deuxième exposition sera accueillie, du 20 octobre au 13 décembre, au Vigan, au château d’Assas, propriété du Département du Gard. Elle doit circuler en Occitanie. Un dossier pédagogique, réalisé avec le Parc national des Cévennes, des actions de médiation culturelle et des audios accessibles via des QRcodes complèteront le dispositif.
En octobre et novembre derniers, Caroline Andridon, basée du côté de Toulouse, a bénéficié d’une autre résidence sur le thème «Jeune photo documentaire et transition écologique». Sa mission, financée par le «Plan culture et ruralité» lancé par Rachida Dati, s’est notamment appuyée sur la Ressourcerie du Pont, au Vigan, lieu de sensibilisation, de collecte et de redistribution solidaire. La restitution de son travail aura lieu à Aumessas, avec une projection et un atelier participatif, pendant le «Printemps citoyen en Occitanie», organisé par la Région Occitanie. Sont aussi en vue, pour cet été, toujours à Aumessas, deux expositions marquantes, issues du fonds d’ImageSingulières : Migrant Farmers de Dorothy Lange et Indiens d’Edward Sheriff Curtis.
Un centre de réflexion et d’action en vue
Valérie Laquittant et Gilles Favier voient plus loin et plus grand, avec la réhabilitation d’une ancienne bergerie destinée à de multiples usages. En 2026, ce sera à la fois un espace d’accueil en résidence artistique, un centre de ressources, un lieu de rencontres et de réflexions autour du documentaire sous toutes ses formes, avec, au cœur des échanges, les problématiques de la transition écologique. Elle doit réunir penseurs, artistes, spécialistes des sciences humaines, habitants et acteurs locaux et accueillir rencontres, projections, médiations, ateliers de pratiques photographiques, ainsi que la bibliothèque ImageSingulières, riche de plus de 4 000 ouvrages sur la photographie. «Ce sera un centre de réflexion et d’action, un lieu de culture et de transition écologique, un point d’appui au dynamisme social et économique de notre territoire», résume Valérie Laquittant.
Mettons donc Aumessas, labellisé «village de caractère» pour son identité patrimoniale et paysagère, sur la carte des lieux incontournables de la photographie situés à notre portée. C’est à une heure et demie de Montpellier.
La restitution des séjours dans les Cévennes du photographe belge Cédric Gerbehaye aura lieu à Aumessas, sur une place du village, du 5 juillet à fin août, avec une exposition gratuite proposée par ImageSingulières. En savoir +, ici.
Photo à la Une et ci-dessus ©Cédric Gerbehaye.
Gilles Favier et Valérie Laquittant dans les anciens locaux de ImageSingulières à Sète.
Photo du village gardois de Aumessas.
(*) A Arles : les Rencontres de la photographie, à Montpellier : les expositions du Pavillon populaire (qui ferme ses portes pour rénovation et rouvrira le 2 décembre 2025 avec une exposition de Raymond Depardon), à Perpignan : Visa pour l’image.
Bonnes images singulieres