Autrice montpelliéraine, Anne Bourrel correspond depuis longtemps avec le journaliste Salah Alguiwaidi, ancien correspondant de «La Voix de l’Amérique», auquel LOKKO a déjà consacré un article. Ici, il raconte à nouveau son quotidien et décrit la situation catastrophique des civils piégés à Khartoum où il vit. Une terrible guerre civile entre deux groupes militaires, autrefois associés pour renverser le dictateur Omar al-Bashir, qui s’éternise dans ce grand pays du nord-est africain
Illustrations Mustafa Khaled (*)
La communauté Internationale s’en fiche de nous. Tout le monde s’affole, s’alarme, s’inquiète. Tout le monde condamne, critique, lamente, blâme, critique, et désapprouve. Mais personne ne bouge pour aider ou sauver ces pauvres civils, assiégés entre les feux de l’armée soudanaise et les FOSOURAP du prétendu général Himaidti.
Catastrophique, effrayant, affreux…
…atroce, infernal et même bordélique : les mots ne suffisent pas à d’écrire la situation dans les différentes zones affectées par la guerre au Soudan. Le conflit qui a commencé à Khartoum, le 15 avril 2023 couvre actuellement 75% de la surface du pays. Des combats acharnés se déroulent actuellement dans la capitale, dans les états fédérés de la Jazeera, du Nil Blanc, du Nil Bleu, à Sennar, dans les trois états de Kordofan, les cinq états du Darfour, l’état du Nil. L’armée soudanaise ne contrôle entièrement qu’une partie de la capitale, l’état de la Mer Rouge, Gadaref, l’état de Gadaref, l’état de Kassala, l’état du Nord, et l’état du Nil. Les seuls états qui ne connaissent pas de combats sont ceux de la Mer Rouge, Gadaref et Kassala.
Les cinq états fédérés du Darfour, deux états de Kordofan, la Jazeera, la plus grande partie de Khartoum sont sous le contrôle des Forces d’intervention rapides et souffre de frappes aériennes sévères. La partie sud de Khartoum, où j’habite, était sous le contrôle de l’armée jusqu’à il y a une année. A cette époque, on souffrait des obus égarés de l’aviation militaire de l’armée et des anti-crafts des FOSOURAP qui ont tué des centaines, voire des milliers de civils. Suite à la chute des bases militaires de l’armée soudanaise dans le sud de Khartoum, la zone est tombée entre les mains des FOSOURAP.
J’ai une fois de plus échappé à la mort
Depuis, la situation a gravement empiré. Aux dangers des obus égarés, des avions et des canons de l’armée et les anti-icrafts des FOSOURAP parties, s’ajoute les dangers des drones des deux parties qui frappent à l’aveuglette, ou presque. L’un de ces obus égarés est tombé à 50 mètres devant l’Hôpital Turc, exactement sur le lieu où j’ai l’habitude de passer la journée. L’obus a détruit les kiosques et les boutiques des vendeurs locaux. Il a tué 9 personnes, dont trois de mes amis, et en a blessé une vingtaine. Ce jour-là, exceptionnellement, je ne m’étais pas rendu à l’hôpital. J’ai une fois de plus échappé à la mort.
Ce n’est pas un incident isolé : chaque jour, les obus des drones, des avions, et des canons tuent des civils dans les quartiers de Kalakla, Mayo, Alshjara dans la partie sud de Khartoum ainsi qu’à Omdurman et Khartoum-Nord, les deux villes jumelles qui composent, avec Khartoum, la capitale soudanaise tripartite. Mais la mort qui frappe à l’aveugle n’est pas notre seul souci. Depuis le départ de l’armée et l’arrivée des FOSOURAP dans la zone, le pillage est devenu une pratique très courante : ils ont confisqué toutes les voitures des civils. Les téléphones et l’argent dans les poches ont trouvé le même sort. Cela a duré plus d’une semaine. Puis, la situation s’est améliorée un peu. Le pillage dans les rues se calme et commence le pillage de domiciles.
Il ne me reste plus rien
Tu me demandes de t’envoyer des photos de chez moi, mais il ne me reste plus rien. Hélas, certains habitants de nos quartiers ont rejoint les FOSOURAP. Ces niveaux recrutés sont majoritairement des mêmes tribus qui constituent le noyau dur des Forces de Soutien Rapide (FOSOURAP), c’est à dire les Rizaighat, les Missayryea et les Darhamed. Les pillages ont commencé par les maisons de ceux qui ont pris la fuite. Les FOSOURAP et leurs nouveaux alliés locaux ont envahi ces maisons sous prétexte que ce sont des maisons d’officiers et de responsables du régime islamiste. Ce qui n’était pas tout-à-fait correct.
Les éléments des FOSOURAP défoncent les portails, prennent la ou les voitures dans la maison. Puis, ils laissent aux nouveaux recrutés locaux la tache de terminer l’affaire. Quelques semaines après, les nouveaux recrutés locaux ont installé leurs propres réseaux de pillage et commencé à travailler indépendamment.
Mon domicile a été cambriolé dans le cadre des opérations de ces réseaux locaux de cambrioleurs. Un jour, je suis allé prendre mon déjeuner dans un restaurant. De retour, j’ai trouvé le portail et les cadenas cassés. Ils ont tout mis à sac : téléphones, laptop, chargeurs, lampe de poche. Ils ne m’ont laissé que peu de choses. Pratiquement, le lit, les matelas et une rareté de vaisselle et de vêtements. Mais tout cela est encore monté d’un cran. Ils ne se contentent plus de voler les choses légères et précieuses. Maintenant ils prennent tout. Ils enlèvent les portes, les fenêtres, les tôles des toits et les briques.
Le pire, ce sont les nouveaux réseaux de rappinerie. Ce sont des réseaux composés majoritairement des éléments des services secret des FOSOURAP et collaborateurs locaux. Ils choisissent minutieusement leurs victimes. Il l’amène à des caches inconnues. Là, il est torturé, accusé d’être officier ou agent de régime islamiste. En fin de compte. Il lui demandent de payer une rançon pour qu’il soit libéré.
Une nourriture périmée
En plus du pillage généralisé, on souffre de l’absence des services de base. Il n’y a plus de réseau téléphonique ni d’Internet. Le seul moyen c’est le WF Starllink. C’est à la fois très cher et risqué. Toutes les boîte Skylink appartiennent aux éléments des FOSOURAP. Des agents de ces kidnappeurs qui écoutent et regardent attentivement pour se procurer de renseignements qui peuvent les aider dans leurs œuvres criminelles.
Le plus grave, c’est la question de la nourriture et les problèmes de santé. Des cinq hôpitaux dans les quartiers du sud de la capitale, seulement deux fonctionnent. Même ces deux souffrent du manque de médicaments et de personnels. Je ne peux pas terminer sans mentionner que nous mangeons des produits alimentaires et des médicaments majoritairement périmés depuis longtemps. Essaie de faire un bon repas de ces poissons pouris.
Une photo : une balle dans la tête
La situation de l’environnement se détériore du jour au lendemain. Cette zone de Khartoum se transforme graduellement en grande poubelle. Les ordures et les cadavres d’animaux s’accumulent dans les rues. Il est strictement interdit de prendre des photos. Les seuls à avoir le droit de le faire sont les éléments des FOSOURAP. On risque de recevoir une balle à la tête, si jamais on est pris en train de photographier.
Les SAF ont repris Médani, ma ville natale, le 11 janvier. Je pense à y revenir dès que c’est possible. Les FAS disent que la route va être sécurisée et réouverte dans dix jours. J’espère être en meilleure situation de sécurité et de vie. Une force de protection de civils a été déployée par les FOSOURAP.
Depuis hier, le 13 janvier, on n’a plus de courant électrique. Je suis totalement fauché. J’attends le versement de ma retraite, inchallah, mais elle n’est pas près d’arriver. J’attends que l’électricité revienne pour reprendre la conversation.
(*) Merci à Mustafa Khaled (ou Mustafa Al-Zaatari), 29 ans, diplômé de l’Université du Soudan pour les sciences et la technologie, et du Collège des beaux-arts et des arts appliqués. Il a participé à des expositions au Soudan et en Egypte où il vit. Son Instagram : mustafa_khaled837
Et à Anne Bourrel. Dernière parution aux éditions La Manufacture de livres : Le roi du jour et de la nuit, roman.