Après la création à l’Opéra Comique à Paris, et un vrai succès, Marie-Eve Signeyrole propose à l’Opéra Comédie de Montpellier une lecture audacieuse qui complexifie le personnage de la mère infanticide, victime du patriarcat, et de la violence des hommes. Avec cette Médée féministe, la metteuse en scène ne fait pas l’unanimité mais offre un vrai point de vue. Encore à l’affiche les 11 et 13 mars 2025.
Héroïne maléfique de la mythologie grecque, Médée a, par amour, trahi les siens en aidant Jason à voler la toison d’or grâce à des pouvoirs magiques hérités de sa tante Circé. Elle a ensuite tué son propre frère, dont elle a éparpillé les morceaux sur la route de l’exil pour semer ses poursuivants. Les amoureux se réfugient ensuite à Corinthe, là où se situe le début du livret écrit en alexandrins par François-Benoit Hoffman sur une musique de Luigi Cherubini .L’opéra débute quand Jason tombe amoureux de Dircé, la fille du roi Créon. Afin de l’épouser, il répudie Médée et décide de la chasser en la privant de ses fils. Folle de désespoir et de jalousie, elle tuera sa rivale et ses propres enfants.
Des siècles de récits masculins
Médée dont la racine du nom est la même que celle du mot médecine, est une savante, elle fait usage de son savoir et le langage est une de ses armes : rien d’étonnant alors que de Sénèque à Jean Anouilh, en passant par Euripide, des siècles d’auteurs masculins aient fait d’elle une sorcière, un monstre sans âme.
Sans minimiser la transgression ultime de l’infanticide, Marie-Eve Signeyrole universalise la figure de Médée et la rend de fait plus humaine. Sur scène, dans un jeu de miroirs, la comédienne Caroline Frossard incarne une mère contemporaine emprisonnée pour le meurtre de ses enfants. Elle accompagne Médée dans ses errances et ses souffrances. La scénographie est intelligente et terriblement interpelante : elles sont glaçantes ces femmes, terrifiantes même, quand, munies d’un oreiller, elles s’approchent des enfants ou préparent avec le sourire un petit déjeuner empoisonné ! Pourtant, la violence n’est pas seulement dans leur camp et peu à peu, elles se dédoublent : criminelles certes mais aussi victimes.
Entre classicisme et romantisme
A la baguette, Jean Marie Zeitouni emporte l’orchestre montpelliérain pour un challenge assez réussi : passer au delà des plages de formules répétitives un brin ennuyeuses pour accrocher la public aux éclairs de génie d’une écriture musicale qui associe le classicisme le plus pur à des moments de romantisme absolu et de noirceur existentielle.
En allégeant les parties déclamées et en mêlant les artistes du chœur aux protagonistes, la narration gagne en fluidité et les projections d’images ajoutent par touches finement amenées, une perspective dramatique : des regards d’enfants apeurés, des balançoires solitaires et abandonnées, un jouet au bord d’une baignoire évoquent le bonheur passé et l’absence insoutenable.
Convaincante Joyce El-Khoury dans le rôle-titre
Jason, habituellement campé en prince généreux, devient ici un mari froid, calculateur et violent. Le ténor Julien Behr assume le côté vantard et odieux du personnage. Il fume, boit et convoite toutes les femmes, que de surcroît il méprise. Rien ne manque à sa voix : le velouté du timbre et la puissance dans l’émotion.
Edwin Crossley – Mercer offre au rôle de Créon, une voix profonde à la diction parfaite.
La soprano Lila Dufy dans le rôle de Dircé a plus de mal : les aigus sont serrés et son phrasé manque de souplesse.
Dans le rôle titre, la soprano Joyce El-Khoury domine une partition redoutable : sensuelle et puissante. Sa voix se fond dans des piani veloutés et se joue des aigus éclatants. Sa présence scénique donne à son personnage une profondeur dramatique captivante. Elle partagera des applaudissements nourris avec la mezzo soprano Marie-Andrée Bouchard Lesieur, incarnant une Néris dévouée à la voix voix riche, intense et lyrique, au phrasé subtil et soigné.
Le féminisme , y en a marre !
A la sortie, une petite dame maugrée à la cantonade : « le féminisme , y en a marre ! » Preuve, s’il en fallait une, que l’opéra n’est jamais aussi vivant que lorsqu’il vient questionner notre société et susciter nos interrogations. En proposant une Médée victime du racisme et du patriarcat, une exilée victime de la violence des hommes, Marie-Eve Signeyrole ne fait pas l’unanimité mais offre un pas de côté, une réflexion, un point de vue.
Médée, opéra de Luigi Cherubini, mise en scène Marie-Eve Signeyrole, dernières les 11 et 13 mars. En savoir +.
Photos Marc Ginot