Stand Up For Science : des chercheurs dressés contre les nouveaux obscurantismes

Coupes budgétaires, pages désactivées de sites de recherche, retraits de subventions à des universités « woke », purge de chercheurs, termes interdits : Stand Up For Science est une réplique à l’attaque sans précédent du président américain Donald Trump contre la science. En solidarité, la France vient de lancer son Stand Up For Science. Deux chercheurs montpelliérains sont aux avant-postes du Stand Up For Science France : les biologistes Patrick Lemaire et Olivier Coux.

«Ce sont des ravages sans précédent que provoquent Donald Trump et Elon Musk : attaques contre des agences scientifiques, notamment en matière de santé publique et d’environnement, coupes budgétaires brutales, interdiction de collaborations internationales. Plusieurs milliers de scientifiques, de tous âges, de tous niveaux de responsabilité, ont été renvoyés du jour au lendemain et plusieurs dizaines de milliers ont démissionné. Le montpelliérain Patrick Lemaire, biologiste au CNRS, brosse ainsi un tableau particulièrement noir, «catastrophique», dit-il. Il a le recul que lui donne sa fonction de président du Collège des sociétés savantes académiques de France, qui, depuis 2021, rassemble 84 associations d’universitaires et de chercheurs de toutes disciplines, des humanités aux sciences de l’ingénieur. Il a aussi la légitimité que lui confère sa qualité de co-organisateur, en 2017, de la «Marche pour la science», déjà pensée pour s’opposer à Donald Trump, lors de son premier mandat (photo).

«Défendons les sciences face aux nouveaux obscurantismes»

Avec deux Toulousains, l’astrophysicien Olivier Berné et l’historienne Emmanuelle Perez-Tisserant, Patrick Lemaire est à l’origine du lancement en France de Stand Up For Science (Se lever pour la science), initiative annoncée par la publication, le 4 mars dans Le Monde, de la tribune «Défendons les sciences face aux nouveaux obscurantismes». Parmi les signataires : de hautes figures, comme les Prix Nobel de médecine Françoise Barre-Sinoussi et d’économie Ester Duflo, l’historien Patrick Boucheron, l’astrophysicienne Françoise Combes, présidente de l’Académie des sciences, Alain Fischer, président de l’Académie des sciences, l’économiste Thomas Piketty ou le mathématicien médaillé Fields Cédric Villani.

120 termes interdits comme LGBT ou racisme

De leur côté, Florence Débarre, directrice de recherche au CNRS en biologie évolutive, à Sorbonne Université, et Marius Gilbert, professeur en épidémiologie à l’université libre de Bruxelles, alarment : « C’est une attaque généralisée contre la science et la place de l’expertise dans la société ». Une véritable purge s’exerce à l’encontre des chercheurs. Ainsi, la NOAA, l’agence américaine d’observation océanique et atmosphérique, a perdu 10 % de ses 12 000 employés. Un mot suffit pour que des scientifiques soient implacablement écartés. En effet, sont interdits dans les publications scientifiques ou chassés des projets de recherche, plus de 120 termes, comme genre, transgenre, personne enceinte, LGTB, transsexuel, handicap, activisme, diversité, racisme, équité, ethnicité, femme, minorité, socio-économique ».

L’astrophysicien Olivier Berné décrit ainsi une situation qui semblait inimaginable : «C’est un moment orwellien, dans lequel deux et deux font cinq si Trump le décide, où les informations sont masquées, les données effacées et les vérités scientifiques disparaissent»

Des conséquences sur la recherche française

Patrick Lemaire décrit les effets en France de la dévastation en cours aux Etats-Unis. «Les chercheurs sont interconnectés. Les grands pays génèrent des données d’observation qui sont mises en commun sur le plan mondial. Elles sont très précieuses, en particulier pour les prévisions climatiques. Pour ma part, je consulte plusieurs fois par jour les bases de données des biologistes. Être privé de ces sources serait désastreux». Le président du collège des sociétés savantes et académiques de France met aussi en perspective la double fonction des sciences : « Nous sommes les thermomètres du monde naturel et des sociétés humaines, qui permettent la détection de phénomènes, comme l’effondrement de la biodiversité, le dérèglement climatique ou le creusement des inégalités. Nous mettons aussi à disposition des responsables politiques des moyens d’action permettant, par exemple, d’assurer la transition énergétique tout en préservant l’emploi, ceci pas seulement sur le plan technologique, grâce à l’apport, non seulement des « sciences dures », mais aussi des sciences humaines et sociales. Les chercheurs éclairent ainsi le chemin de l’action des décideurs», résume Patrick Lemaire.

Des chercheurs islamo-gauchistes…

Cette route est trop souvent assombrie en France, quand survient la contestation des sciences, comme on l’a vu lors de la crise sanitaire du Covid ou on le voit avec la négation du changement climatique, lorsque les opinions prennent le dessus sur les faits avérés, solidement démontrés, et que ces faits eux-mêmes sont réduits par certains au rang d’opinions.

En France aussi, plus qu’autrefois, on assiste à des attaques contre la recherche, comme quand des agriculteurs érigent un mur devant les sièges parisiens de l’Inrae (Institut national de la recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement) et de l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail). «Il y avait aussi de quoi s’inquiéter», rappelle Patrick Lemaire, «quand Jean-Michel Blanquer, alors ministre de l’éducation, et Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, en avaient après les chercheurs suspectés d’un prétendu islamo-gauchisme».

Le rassemblement du 7 mars

Autre montpelliérain fortement engagé, Olivier Coux, directeur de recherche au CNRS, coordonne un programme européen sur les protéines qui rassemble 400 chercheurs. Il a co-signé, avec d’autres chercheurs de haut niveau, une tribune publiée le 11 février dans Libération et intitulée «Elon Musk, le rêve fou d’un homme pour contrôler le savoir, le réel et le monde.»

C’est un des principaux organisateurs des premières actions de Stand Up For Science France, le 7 mars, à Montpellier : des rassemblements à midi de chercheurs devant le campus Arnaud de Villeneuve, le siège de la délégation régionale du CNRS et les campus La Gaillarde INRAE-Institut Agro et de la faculté des sciences de l’Université de Montpellier, avant un rassemblement tourné vers les Montpelliérains, place de la Comédie en fin d’après-midi. C’était la première étape avant d’autres actions à venir.

Menacer le savoir c’est menacer la démocratie  

Olivier Coux partage avec beaucoup de ses pairs un même engagement de chercheur au service de la société. Au micro de Divergence, dans mon émission «Racontez-nous votre Montpellier», il a résumé ainsi la situation : «La production de savoir, issue de la recherche et transmise à l’université, fait partie de ce bien commun qu’est l’information fiable sur laquelle on peut s’appuyer. Le droit de produire du savoir fait partie du droit à l’information. Immédiatement se profile alors la question de la démocratie.»

Faire barrage au Rassemblement national

En juin 2024, en pleine campagne des élections législatives, un collectif de chercheurs dont des Prix Nobel, signaient une tribune dans Le Monde appelant « à faire barrage au Rassemblement national » qui représente « une menace grave et immédiate pour la recherche et l’enseignement supérieur en France« . Plus de mille chercheurs déclaraient alors «La France est le pays des Droits de l’homme. C’est aussi le pays des Lumières. Une société éclairée est une société libre. Ne laissons aucun obscurantisme nous envahir». Patrick Lemaire l’affirme clairement : «En France, les libertés académiques existent. Mais elles doivent être mieux protégées. Parce que la science est un bien commun, cette liberté doit être protégée, y compris en cas de gouvernement autoritaire, par une inscription dans la Constitution».

Avec le même engagement citoyen, la déclaration des chercheurs montpelliérains qui se sont mobilisés le 7 mars affirmait : «Ce qui se passe actuellement aux États-Unis est plus que de l’obscurantisme : lorsque les faits scientifiques sont censurés parce qu’ils contreviennent à des intérêts puissants, ou sont confondus avec de simples opinions, ce sont les fondements de la démocratie qui sont menacés».

Elargir à tous les producteurs de savoir

Patrick Lemaire résume des enjeux qui dépassent ceux des sciences : «Il est décisif de défendre la liberté académique, la liberté de chercher sans interférence politique. Au même titre que défendre la liberté de la presse.» Pour Stand Up For Science France, extension de la mobilisation née aux Etats-Unis, l’objectif est désormais clair : populariser le mouvement «Se lever pour la science», en attirant, aux côtés des chercheurs, les autres producteurs de savoir, les éducateurs de toutes espèces, les défenseurs des libertés et les citoyens conscients de ce qu’apportent les sciences à la vie de chacun. Il s’agit, non pas d’une d’action corporatiste, mais d’un combat d’intérêt général.

Stand Up For Science en France, ici

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