Sandrine Rousseau à Montpellier : «Le sexisme a déjà perdu»

Clivante, cible permanente d’injures, Sandrine Rousseau est venue à Montpellier en tant que présidente de la commission parlementaire d’enquête sur les violences sexistes et sexuelles (VSS) qui a reçu des centaines de personnes et rendra ses conclusions le 9 avril. Une mission «puissante, forte, émouvante et dérangeante» a confié à Montpellier la députée écologiste, où elle était invitée par le mouvement féministe HF + Occitanie et « Les écologistes pour Montpellier ». 

«La députée écologiste coupeuse de têtes, de couilles et de cheveux en 4, compte venir à Montpellier» : par ce post sur les réseaux, Hussein Bourgi, le sénateur socialiste et conseiller régional de l’Hérault, donnait le ton. Sous la publication de la page Facebook de la femme politique, évoquant cette journée du 14 mars à Montpellier, beaucoup d’insultes. Une violence misogyne en roue libre, constante, contre l’une des plus médiatiques et des plus attaquées des féministes en France, qui a refusé une protection policière.

La veille, Dominique Besnehard, avait pété un plomb devant les questions coupantes de la députée à propos de son soutien à Depardieu, lui reprochant des “propos dénigrants sur les personnes qui parlent“ qui  “envoient un message à l’ensemble du cinéma” : “Arrêtez de faire la morale à tout le monde !“ avait tonné l’agent des stars. Peu de temps avant, l’ “absence d’infraction“ prononcée par un tribunal en faveur du député écologiste Julien Bayou, qu’elle avait accusé un peu trop vite de violence conjugale, avait illustré les dérapages d’un féminisme tranchant mais totalement assumé.

Mais c’est en star qu’elle a été accueillie à Montpellier. La rencontre, au salon du Belvédère du Corum, était organisée par le Mouvement HF+ Occitanie, une organisation très active sur le territoire, en partenariat avec «Les écologistes pour Montpellier » : un nouveau «cercle d’idées» composé d’élus.es écologistes qui n’ont pas claqué la porte de la majorité municipale, contrairement à quelques-un.e.s de leurs camarades. Un écoféminisme de gouvernement, représenté ici par Fatma Nakib, adjointe au maire, déléguée à l’Égalité et droits des femmes (1) et Bruno Paternot, figure par ailleurs de HF+ Occitanie. Ayant ceci de commun avec Sandrine Rousseau d’être en délicatesse avec la maison-mère. La députée parisienne, minoritaire et encombrante au sein de son parti, a émis de vives critiques sur la gouvernance de Marine Tondelier, dont les écologistes dissidents du conseil municipal de Montpellier sont proches.

Sandrine Rousseau a été au cœur d’une des toutes premières enquêtes en France sur les violences sexuelles avec l’affaire Baupin. En présidant cette commission parlementaire, elle a pris de la densité. Menant les débats avec tact et fermeté, se montrant parfois impitoyable.

Dans la vraie vie, loin des micros, elle paraît beaucoup plus sereine et sûre. En aparté, elle raconte les «dizaines de coups de fil» qu’elle reçoit tous les jours de femmes «qui n’ont pas le courage de venir témoigner mais veulent lui parler». Elle ironise avec détachement sur la réaction de Dominique Besnehard : «Il m’a traitée d’Agrippine (la frustrée de Bretécher)… Un monde qui se meurt» balaye-t-elle.

Plus tard, elle ira rencontrer la jeunesse engagée du Quartier généreux pour parler de son livre en tant qu’économiste, cette fois : «Ce qui nous porte» sur les 30 Glorieuses (2).

«Puissant, fort, émouvant et dérangeant»

Ce sont ces mots quand elle parle de cette commission constituée en mai 2024, à la demande de l’actrice Judith Godrèche. Stoppée puis relancée après la dissolution.

Il faut absolument regarder et faire regarder ces débats enregistrés, qu’on peut trouver sur le site de l’Assemblée nationale (3). Et les montrer dans les écoles aussi. Un document considérable, sans aucun doute un jalon historique dans la lutte contre ce qu’on appelle les VSS. Des journalistes, des directeurs de casting, des réalisateurs, des réalisatrices, des directeurs et directrices de chaîne : c’est toute une élite qui a défilé dans ce prétoire de l’assemblée nationale. Un ghota d’autant plus fourni et hétéroclite que la commission a englobé «les violences commises dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité». Tout un vrac constitué d’amendements et de demandes spécifiques avec des omissions : les arts visuels par exemple.

«Nous ne pouvons pas nous substituer à la justice, mais au moins mieux comprendre». Ce n’est pas un tribunal mais ça lui ressemble. Les commissions d’enquête, qui ont parfois donné lieu à de véritables sagas comme pour l’affaire Benalla, sont là pour informer les députés en leur donnant de véritables pouvoirs : les témoins sont «convoqués» et ne peuvent donc pas se soustraire, mais ont la possibilité de témoigner en huis clos comme l’on fait les stars du cinéma comme Juliette Binoche, Virginie Efira, Noémie Merlant ou encore Jean Dujardin et Gilles Lelouche.

Tous s’expriment sous serment en levant la main et disant «Je le jure». Chacun, chacune est passible de poursuites en cas de mensonge. C’est ce qui arrive à Serge Toubiana, ancien patron de la Cinémathèque, pour avoir minimisé la relation entre Judith Godrèche et le cinéaste Benoît Jacquot qu’il recevait pourtant à dîner avec sa jeune compagne, mineure à l’époque. Sandrine Rousseau a fait un signalement pour «parjure» à son encontre.

« Cette enfant qui dormait dans le lit de votre meilleur ami »

Judith Godrèche est bien entendu dans tous les esprits. Son audition a fait pleurer à chaudes larmes le rapporteur centriste Erwan Balanant. « Cette commission d’enquête n’est pas tous les jours facile et je m’en excuse ». L’élu du Finistère a parlé de «machine à broyer».

«Il n’y a pas de demi-folle» a dit Judith Godrèche dans un silence épais. «Depuis un an je souris moins, je pleure bien souvent / Regardez cette enfant qui dormait dans le lit de votre meilleur ami».

A sa suite, un défilé impressionnant de victimes, qui serre le cœur. Et une impression qui se confirme de séances en séances : au-delà du coût psychologique souvent évoqué, la sanction du milieu et la dégringolade personnelle apparaissent comme des marqueurs assez sous-estimés. Beaucoup de ces femmes sont dans la précarité, parfois ont connu la misère, après un bannissement professionnel.

La journaliste Florence Porcel, la première accusatrice de PPDA, a dû se reconvertir. Elle a reçu des menaces de mort. Idem pour la jeune journaliste Noémie Luciani qui rêvait de devenir critique de cinéma, violée au festival de Cannes par un patron de presse. Sarah Forestier, elle, a connu une descente aux enfers et développé de lourdes pathologies : « Ils ont bien réussi à me faire taire« .

Ana Mouglalis a raconté à son tour qu’elle avait formellement interdit des images de son sexe, lors d’un tournage, en vain. Elle a vu ses « lèvres » dans la bande-annonce du film. Elle est aujourd’hui membre de la CGT Spectacle, très offensive sur les VSS, comme l’a expliqué à Montpellier Karine Huet, sa représentante.

« Toutes les femmes tremblaient »

La plupart des hommes ont passé un sale moment. Wajdi Mouawad, le renommé directeur libanais du Théâtre de la Colline, était, lui, particulièrement pâle. Il avait été «convoqué» pour son refus de déprogrammer un artiste condamné pour le meurtre de sa compagne, mais ayant purgé sa peine, et pour le statut d’un autre acteur, ayant fait l’objet d’une plainte pour viol, classée sans suite. Et, surtout, pour avoir collaboré avec Bertrand Cantat qui a composé la musique d’un de ses spectacles. «J’avais beaucoup de naïveté, je me suis dit qu’il avait purgé sa peine».

A ce metteur en scène adulé, le rapporteur a reproché son emploi du mot «désir» quand Wajdi Mouawad a expliqué qu’il fallait qu’un acteur « désire » travailler avec un metteur en scène et inversement. « Le terme est-il approprié ? » lui a demandé Erwann Balanan. «Où s’arrête le désir ? Il y a parfois une prédation derrière le mot désir» lui a objecté Sandrine Rousseau.

A Montpellier, la présidente de la commission a parlé de cette «différence physique notable entre les chefs à plumes, les directeurs d’institutions et les femmes, qui tremblaient. Toutes tremblaient, toutes, je n’ai pas vu un seul homme qui a témoigné, trembler».

Le débat avec la salle a montré la difficulté pour agir efficacement sur ces sujets. «Il y a un impensé sur la protection des enfants dans les écoles d’art. Tout ce qui a touché à la pédocriminalité a constitué les moments les plus durs de notre commission» a souligné Sandrine Rousseau. Des référents d’intimité existent mais ne suffisent pas. De plus en plus de professionnels exigent «que les scènes d’intimité soient décrites avec la même précision que les cascades». La députée note aussi «une spécificité du monde culturel où l’on est souvent hors du travail».

Prenant la parole, la comédienne Claire Engel a illustré concrètement ces zones de non-droit sur la culture que la commission a pu aider à identifier : «Les artistes n’entrent pas dans les bureaux et échappent souvent aux cadres. La nature du harcèlement n’est pas la même sur un plateau, sur les loges. Il arrive qu’une actrice se change à vue sur la scène pendant une répétition».

« Une forte demande de protocoles »

«Il y a une très forte demande de protocoles à tous les niveaux» a acquiescé Sandrine Rousseau. Il faut que les référents déposent plainte aussi quand ils sont témoins de quelque chose, afin que les VSS relèvent d’une responsabilité collective». Pour venir aussi se substituer à l’épuisement des victimes comme Judith Godrèche, très désabusée : «C’est pas parce que j’ai parlé que ce sera plus facile pour les autres».

On a pu le constater dans cette commission : les hommes ont fait du chemin (seulement 15% des victimes sont des hommes). Le producteur de cinéma Dimitri Rassam a convenu que «le curseur des problèmes, sur ce qui paraissait anecdotique, s’est déplacé». Sur la commission elle-même, Jean Dujardin a confié : «Au début, j’ai eu le sentiment que ça commençait mal mais il ne pouvait pas en aller autrement : il fallait taper fort pour que la parole soit entendue, ce qui est encore le cas». Faisant un constat prudent mais optimiste : «J’ai le sentiment que le réflexe sexiste et la phrase lourde tendent à disparaître».

Séquence de féminisme inquisiteur ou bien procès des violences masculines pour l’histoire ? La commission rend son rapport le 9 avril. Pour faire quoi ? Un nouvelle loi ? Ses préconisations seront-elles suivies ?

Sandrine Rousseau s’est montrée à Montpellier particulièrement optimiste : «Quoiqu’il arrive, il y a une vraie volonté de changement, les poches de résistance sont toutes petites, le sexisme a déjà perdu. Notre bataille culturelle progresse comme jamais».

(1) Écoutez le podcast LOKKO sur les femmes dans l’espace public avec Fatma Nakib, ici.

(2) « Ce qui nous porte« , Sandrine Rousseau, Seuil. 

(3) Commission d’enquête relative aux « violences commises dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité », ici

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