La ZAT 2025 qui a eu lieu à la Mosson les 4 et 5 avril a suscité un moment festif et enchanté. Le choix de ce quartier «populaire», lieu d’une rénovation urbaine d’ampleur, ne relevait pas du hasard. Mais en contraste avec le volontarisme politique, la réponse des habitants a paru encore timide. Et mis en évidence le chemin à faire pour conquérir un des publics les plus éloignés de la culture.
Première femme à diriger une ZAT depuis sa création, Laurie Quersonnier et son collectif Créature.s, Créatrice.s a des choix artistiques sûrs. Sa programmation aux couleurs du cirque de cette ZAT printanière a été impeccable. On citera les portées poétiques et éphémères de la compagnie XY, auréolée de sa participation aux JO, la divine compagnie le Doux Supplice, et son couple de valseurs aériens sur les épaules des hommes forts de la troupe. Des moments de grâce, du soleil, des couleurs, de l’affluence. Et la vérification aussi que la ZAT, le seul grand événement culturel montpelliérain nomade, est un rendez-vous bien ancré chez les Montpelliérains, ce qu’à la mairie de Montpellier on appelle le «où tu iras j’irai de la ZAT».
Laurie Quersonnier ne s’est pas aventurée la fleur au fusil dans un contexte où l’angélisme culturel n’est pas de mise (ici, l’ITV LOKKO). Plus qu’aucun autre quartier jusqu’ici, le terrain a été labouré. 400 personnes ont participé à la fabrication des zeliges qui ornent la structure d’acier installée dans la pinède Saint-Paul (photo). La première commande publique d’œuvre d’art de la ZAT. Superbe création d’ailleurs du collectif UV Lab. Intervenante pour le cirque dans les établissements du quartier depuis 2017, elle s’est assurée, par exemple, de la participation de l’école Léopold Senghor pour l’inauguration. Les guirlandes de tzicuri suspendues au-dessus du Grand Mail ont été réalisées par les tisseuses de l’association locale Tin Hinan, sous la supervision de l’artiste textile Frédérique Chevé. Et commande a été faite à Marielle Rossignol de photos des commerçants des Halles.
Cette orientation s’est exprimée jusque dans l’invitation faite aux artistes. Ainsi, le drôle et tendre Saïd Mouhssin, artiste marocain, a fait son numéro habillé en éboueur de chez Nicollin et parlant en arabe : «Chouf Chouf !» («Regarde ! Regarde !»). On a aussi invité cette star du quartier, ultra-médiatisée, qu’est Khalil Chabouni qui représentait la France aux JO 2024 dans la catégorie de la breakdance.
Se manifeste depuis quelque temps un intérêt croissant pour ce quartier très prisé des artistes et des journalistes… Un quartier que tout le monde continue à appeler Paillade. «La Paillade selon les habitants, la Mosson selon la police» ironise un habitant dans la série de portraits du livre Quartier intime de Henri Quatrefages, mis en onde radiophonique par l’excellente compagnie Primesautier. On n’a jamais autant d’ailleurs documenté la Paillade : Laure Pradal avec ses documentaires, Kaina TV avec son formidable podcast sur la tour d’Assas en cours de destruction, ou encore la vidéo stylée de Al Sticking sur la même tour.
Cette ZAT 2025 confirme une évolution : lors du mandat de Michaël Delafosse, la ZAT a été intégrée dans ce qu’on appelle volontiers au 8ème étage de l’hôtel de ville : le récit montpelliérain, comme ce fut le cas pour la ZAT 2023 fêtant le lancement de la gratuité de tramway. S’exposant au reproche d’instrumentalisation. La seizième édition a été clairement englobée dans le vaste programme de l’ANRU qui fait se transformer le quartier de manière assez spectaculaire. Quelques jours avant la manifestation, des milliers de locataires ACM recevaient un texto d’invitation.
Mais ceux qui ont assisté aux spectacles étaient majoritairement les Montpelliérains venus d’ailleurs, dont quelques représentants du Boboland montpelliérain, une autre ville dans la ville, dont beaucoup venus pour la première fois dans ce nord montpelliérain, carte en main, parfaitement à l’aise dans le repérage des parcours et des spectacles, qui n‘est pourtant pas simple vu le foisonnement de propositions (photo). On a vu une toute petite minorité de mamans ou de papas du quartier qui se sont autorisés à faire la queue et prendre place parmi un public d’habitués, avec leurs gosses. Les rires et l’émerveillement des enfants sont bien tous les mêmes. Certains plus touchants que d‘autres.
En revanche, les Pailladins ont pris d’assaut les animations pour les enfants (forte présence des dynamiques associations de quartier) ont déambulé en grand nombre, le samedi après-midi, en famille, le long d’une coulée verte transformée en artère culturelle, que beaucoup de quartiers peuvent envier à la Paillade, qui va de l’épicentre des Halles des 4 Saisons jusqu’au Lac des garrigues en surplomb. Et le long du Grand Mail, les ramblas locales. Hanane Habib, une habitante des Hauts de Massane n’a pas eu de mal à convaincre avec ses chants traditionnels sur l’eau du même Lac des garrigues (photo). Et des youyous ont retenti le samedi soir, sur le parking des halles, devant Sofiane Saidi et son raï électro (qui s’est félicité de cette mixité) dans une chaude ambiance. Avec des habitantes qui s’étaient carrément mises sur leur trente et un.
La force qu’il faut, la poussée extraordinaire nécessaire pour faire levier dans ce quartier (malgré ses trois Maisons pour tous et son théâtre municipal), ce décalage, constaté par beaucoup, Michaël Delafosse, le maire de Montpellier, l’a volontiers reconnu au lendemain de cette ZAT, faisant le parallèle entre la démolition des tours Matisse dans le quartier Pissevin à Nîmes, au même moment, «un quartier dont la municipalité s’est retirée» en contraste avec la ville de Montpellier «surinvestie à la Paillade». Ce qui s’est joué ce week-end, et qui relève de ce qu’on appelle les droits culturels, est bien plus qu’une belle manifestation des arts de la rue.
Photos @C. Marson, LOKKO.