Enfin ! Sameer Ahmad donne un concert dans sa ville

En vue dans des médias nationaux (France Inter, FIP, Nova…) depuis la sortie de son cinquième album en date La vie est bien faite il y a un an, plébiscité pour son rap singulier utilisant des symboles du cinéma, de la pop culture, des cultures urbaines, afro-américaine, ou de ses origines irakiennes, le montpelliérain Sameer Ahmad assure la première partie de Talib Kweli, pilier du hip-hop conscient américain, ce mercredi 16 avril au Rockstore. Un évènement dans l’événement puisque malgré plus de vingt ans de carrière et une critique unanime, c’est la première fois que le Baudelaire en sportwear livre une prestation live en son nom dans sa ville. 

Avec La Vie est Bien Faite, son cinquième album sorti en mars 2024 sur le label indépendant Bad Cop Bad Cop qui l’accompagne depuis plus de dix ans, sa carrière a pris une autre dimension. Puisqu’à plus de quarante ans, là où en général certains artistes décident de jeter l’éponge à trimer pour vivre un temps soit peu de leur art, lui, a décidé d’enfin s’y coller. Lâchant pour ce faire son poste de professeur des écoles.

On comprend que l’idée l’ait titillé. La presse spécialisée, tout comme des darons du rap français (AKH, Dany Dan, Sako…), le couvre d’éloges depuis Justin Herman Plaza, paru en 2010, que son auteur considère comme son premier disque. Depuis les projets se sont enchaînés et le bouche-à-oreille de passionnés attentifs à ce qui se fait en marge des majors et du rap game, constituant un solide auditoire, est allé jusqu’à toquer à la porte de la Villa Albertine. Un prestigieux programme de résidences aux Etats-Unis soutenu par le Ministère de la Culture auquel Sameer Ahmad a pris part en 2022 à Miami.

Avec son nouveau job d’intermittent du spectacle (statut qu’il a obtenu en multipliant des activités annexes comme Iqra), c’est cette fois sur des plateaux radio nationaux que le montpelliérain semble avoir pris ses quartiers. On l’a vu tour à tour défendre son dernier opus sur France Inter, dans le Club Jazzafip, sur Mouv’, sur Nova. Mais il reste lucide sur les raisons de cette médiatisation soudaine :

«Les coups de cœur n’existent quasiment pas dans l’industrie musicale. Tout ne se fait que par attaché de presse. Il suffit d’avoir le bon pour avoir les bonnes interviews et les bons placements. Si c’est moi Sameer qui vais proposer mon disque à Nova, ils ne vont même pas l’écouter. Ce qui a changé, c’est qu’avec La Vie est Bien Faite, j’avais pour la première fois un attaché de presse».

Un art du bagou

Il n’en demeure pas moins que ce qui fait la renommée de notre Baudelaire en sportwear, tel qui s’est désigné sur Spudd Webb, ce sont en grande partie ses textes qu’il écrit par la voix de manière quasi spontanée et qu’il ne retranscrit sur le papier que dans un second temps uniquement pour pouvoir les mémoriser.

«Le rap c’est l’une des plus grandes formes d’oralité qui existe. Des mecs comme Jay-Z ou Biggie n’ont jamais rien écrit de leur vie. Tu n’écris que pour les mémoriser et pour que ce soit compris oralement par les auditeurs. C’est tout. Aux États-Unis, on parle de lyrical. Le rap n’est pas du tout un art de l’écriture mais un art du bagou».

Comparé au mouvement parnassien, ce qui compte pour lui c’est la beauté du geste. Et quand on l’interroge sur le multiculturalisme dont il se fait l’écho et quelques phrases de ces derniers morceaux pouvant s’apparenter à du rap dit engagé,

-“Ni ton pote ni ton porte-voix (…)

Faut d’la rigueur, qu’on soit de grands métèques high-tech.

Mon frère, y a pas d’videurs devant les” (extrait de Ras El-Hanout)

-“Votre racisme est grave sournois

Vos larmes pour tremper mes samoussas, bref tout ça pour ça

Mais avant ça on nous exposait comme au Zoo de Vincennes

Y’a 50 piges on nous jetait dans les eaux de la Seine

Aujourd’hui tu me demandes ou pecho de la zeb ?” (extrait de Menthe Fraîche)

Sameer Ahmad rétorque :

«Le rap c’est vraiment la moins bonne méthode pour parler de ce genre de choses. Moi je ne sais pas le faire et je n’ai jamais vu personne savoir le faire en France. Ou ceux qui prétendent savoir le faire, ça n’a jamais rien fait changer. Tu ne prêches qu’à des convertis. Je parle de racisme ici comme j’aurais pu parler d’un string. Ce qui m’intéresse c’est la musicalité des mots».

Et : « le rap ce n’est pas sérieux. C’est du divertissement. Il ne faut pas en faire des montages, sacraliser la chose. Enfin c’est ma vérité. Pas forcément la vérité ».

Fils d’un réfugié politique 

Autre particularisme : ne pas avoir de thématique balisée. Et s’autoriser à passer d’une image à une autre. Parfois volontairement anachroniques, souvent faisant rencontrer des mondes différents. Créant ainsi des fictions fantasmées. Un procédé permis à grand renfort notamment d’allégories pour lesquelles notre rappeur curieux de tout va piocher dans tout son background culturel : le cinéma de Melville, de Bruce Lee, de Clint Eastwood, le skate qui lui a fait découvrir le rap américain, la culture afro-américaine, ou ses origines irakiennes. Sameer Ahmad, né à Bagdad, est le fils d’un réfugié politique, ayant transité par l’Algérie avant de poser ses valises en Normandie puis à Montpellier.

L’auditeur non averti peut se perdre, il est vrai, si il n’a pas la réf’ mais la joie n’est que plus grande quand enfin il comprend.

Il arrive également à notre emcee de recycler d’anciennes gimmicks, s’amusant à les intriquer à de nouvelles phases, et bâtissant ainsi une sorte de mythologie faisant sourire le fan ayant suivi toute sa discographie.

Bon Chance

Les pronoms compléments peuvent aussi disparaître quand ils dérangent le rythme et qu’ils ne sont pas utiles à la compréhension. Et à contrario des fautes d’orthographe peuvent être utilisées au seul motif qu’elles sonnent bien. C’est le cas avec Bon Chance titre donné à un de ses récents morceaux. Une expression qui semble avoir la côte dans les collèges et qu’il nous a dit avoir emprunté à son fils.

Vous l’aurez compris le seul guide du rap de Sameer Ahmad est le swing des mots et des rimes multisyllabiques. Un flow qui démarre souvent sur des contre-temps et laisse de la place au silence comme jadis Miles Davis. Un swing qui n’a de sens qu’avec les beats qui les accompagnent. Du boom bap moderne de mains d’orfèvres : Skeez’Up à la manœuvre le plus souvent, Nab l’éternel acolyte (de Montpellier également) jamais très loin, Mani Deïz, et Grand Bazaar pour ce qui est de ses deux derniers EP Ras El-hanout et Wrack parus il y a quelques mois.

Il nous a soufflé qu’un sixième album Amour Suprême, suite de son dyptique sous les identités de Jovotae & Ezekiel (2020) serait en gestation pour une sortie, il espère, courant 2026.

Chose surprenante, alors que ses premiers raps datent d’il y a plus de vingt ans, ce n’est que depuis deux, trois ans, qu’il donne des concerts : «c’est du boulot mettre un show en scène. Se souvenir des morceaux, trouver le bon DJ. C’est un apprentissage. Je n’avais pas le temps avant. Tout simplement. Et je ne voulais pas faire cela par dessus la jambe».

La seule ville où je n’arrive pas à jouer

Encore plus déroutant, on n’avait encore jamais vu son nom à l’affiche d’un concert dans le clapas avant ce warm up annoncé de Talib Kweli au Rockstore, le 16 avril.

«J’ai joué une dizaine de fois à Paris, quatre cinq fois à Rennes, Lyon, Nantes, Toulouse, Bordeaux… Montpellier, c’est la seule ville où je n’arrive pas à jouer. Je ne sais pas l’expliquer. LEDOUBLE, Oglounis, Deelee S, ces nouveaux jeunes de Montpellier, c’est un peu pareil, ils explosent tout en s’exportant. Mais  je suis content de rencontrer enfin le public de ma ville».

Une ville et ses alentours qu’il cite également régulièrement dans ses vers comme dans le morceau Secteur Ouest dont le titre est un clin d’œil à son quartier Celleneuve. L’évocation géographique, un des folklores du hip-hop, que Sameer Ahmad maîtrise également à la perfection.

“Si j’avais un Low Rider

Je te récupère à l’église, je t’accompagne jusqu’au night club

Hbiba

Drôle d’accueil

Du port de Sète à la Tamise, de Georges Brassens à Georges Michael” (extrait de Secteur Ouest).

Toute sa discographie à retrouver sur son Bandcamp, ici

Talib Kweli et Sameer Ahmad le 16 avril au Rockstore. En savoir +.

En photo, les albums Tracy 168 et RasElHanout.

 
 
 

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