Quand le Printemps de Bourges a failli être le Printemps de Montpellier

La 49ème édition du Printemps des Bourges ouvre aujourd’hui la saison des festivals de musique. Fondé en 1977, il connaît une sérieuse crise financière dans les années 80. Le jeune maire socialiste, Georges Frêche, propose alors de le faire venir à Montpellier. Mais François Mitterrand bloquera le projet. Quelques 40 ans plus tard, Bourges grillera à nouveau la politesse à Montpellier en étant désignée Capitale européenne de la culture 2028.

Le 27 janvier dernier, on apprenait le décès de Daniel Colling, fondateur du Printemps de Bourges dont la prochaine édition a lieu du 15 au 20 avril. C’était il y a près d’un demi-siècle. En 1977 : la création du festival par une bande d’amis composant la joueuse équipe d’ Ecoute s’il pleut*, agence artistique alternative aux grosses agences du show-bizness d’alors comme les Marouani (tellement nombreux dans la profession que Jacques Brel avait eu cette formule : «Quand j’ai du mal à trouver le sommeil je compte les Marouani») mais aussi le alors colosse rock KCP (connu pour son service d’ordre spécialement musclé). Où l’on trouvait le journaliste alors plume émérite à Rock & Folk Jacques Vassal**.

ESP se voulait aussi terre d’accueil pour tous les artistes qui n’avaient pas leur rond de serviette dans les émissions télé du super puissant Guy Lux. Tête de turc préféré de l’humoriste Guy Bedos, fleuron de la France d’alors sous pavillon Giscard, qui, lorsqu’il ne s’invitait pas chez les éboueurs, tapait volontiers l’incruste chez sa compatriote du pays d’Auvergne Danièle Gilbert…

Un temps où l’on disait alors de cette chanson alternative qu’elle était «engagée» : Léo Ferré, Catherine Ribeiro, François Béranger, Henri Tachan, Colette Magny mais aussi les voix du terroir comme Stivell, Glenmor, Servat côté Bretagne. Claude Marti, Patric, Mans de Breish, Joan Pau Verdier, versant Occitanie. Avec les étiquetages assortis dans la veine de «Viure al pais» : Revolum, Ventadorn. Il y a eu des  «traîtres» comme Joan-Pau Verdier monté de son Périgord natal pour signer chez Philips. Idem pour Servat alors que dans le pays breton existait Droug ou Nevenoé. Nombre de ces artistes sans oublier Higelin, Dick Annegarn, Yvan Dautin (papa de Clémentine Autain) furent les premiers bourgeons à l’affiche de ce premier printemps. Le même Jacques Higelin que l’on trouvera aussi à la création des Francofolies de la Rochelle, 40 ans cette année (du 9 au 14 juillet).

Les concepteurs du PDB avaient jeté leur dévolu sur la ville de Bourges assez petite bourgade de 60 000 âmes, à peine chef-lieu du département du Cher au cœur de l’hexagone. Et battant pavillon de gauche avec le communiste Jacques Rimbault qui en sera le maire de 1977 à 1993. A l’origine du PDB : Maurice Frot, l’écrivain libertaire, intime et secrétaire de Léo Ferré, qui avait pris langue avec le chanteur Alain Meilland, officiant au sein de la Maison de la Culture locale. Une des premières Maisons du genre (avec celle de Grenoble), voulue alors par le Ministre André Malraux et inaugurée par lui en 1964. Et dont le premier directeur fut un certain Gabriel Monnet. Le festival s’inscrit dans ce courant français de l’éducation populaire né après la guerre.

Huit ans après sa naissance, le Printemps connait sa première crise financière. La manifestation s’est développée. Le PDB n’est plus, depuis 1982, une production de la Maison de la Culture. Il manque 2 Millions de francs dans les caisses. L’équivalent d’un peu plus de 300.000€. Ayant eu vent de ce déficit, Georges Frêche, jeune maire socialiste de Montpellier, élu l’année-même de la création du festival, décroche son téléphone et appelle Colling*** pour lui signifier en substance :

-«Je double la mise et tu déménages à Montpellier !».

Le journaliste montpelliérain Frank Tenaille, co-auteur avec Stéphane Davet (Le Monde) d’un livre retraçant les grandes lignes de l’histoire du Printemps (Gallimard 1996), avait fait office de médiateur. Il se souvient parfaitement de la rencontre entre les deux hommes au 7ème étage de la mairie, alors place Francis Ponge. « Ce n’est pas un coup de bluff : Daniel Colling est allé jusqu’à la rédaction d’un contrat avec la ville de Montpellier« , raconte Bertrand Dicale dans son livre L’extravagante épopée du Printemps de Bourges (2007). «Son maire, Georges Frêche, assure qu’il préfère que Bourges conserve son festival mais que, si les collectivités territoriales concernées ne font pas l’effort demandé, il sera ravi d’accueillir le Printemps. Il est clair que l’idée d’un déménagement à Montpellier a de quoi séduire : la ville a clairement entrepris un rajeunissement volontariste, notamment en favorisant le développement des universités, les capacités d’hébergement sont sans comparaison, les autoroutes et le train mettent à peu de distance Marseille/Nîmes/Perpignan et Barcelone, alors que l’attraction de Bourges ne dépasse pas Châteauroux et Nevers…»

Branle-bas-de-combat chez les élus, le maire en tête, et à la Chambre de commerce de Bourges. Apprenant que pareil transfert allait se faire, le Président François Mitterrand donna ordre à son Ministre de la Culture, un certain Jack Lang, de renflouer les caisses du festival. On sait à quel point la relation était exécrable entre Frêche et Mitterrand. Le baron montpelliérain reprochait au président de ne pas avoir tourné le dos à son passé, en recevant René Bousquet à l’Elysée jusqu’à sa mort. Il le lui avait dit. Cette franchise lui avait valu de ne jamais être fait ministre. Sans doute, «Tonton» n’avait pas eu envie de faire ce cadeau au (trop) trublion Maire de Montpellier.

C’est ainsi que le Printemps a refleuri dans la même terre berrichonne où Mitterrand compte des ancêtres. Il y aura bien un Printemps culturel et artistique à Montpellier -5 ans plus tard- mais il sera celui des Comédiens. A l’initiative du Président socialiste du Département de l’Hérault, Gérard Saumade. Quelques 40 ans plus tard, Bourges grillera à nouveau la politesse à Montpellier en étant désignée Capitale européenne de la culture 2028.

* Ecoute s’il Pleut sera également un label discographique distribué par le super puissant RCA (tout comme Saravah label fondé par Pierre Barouh) avec Charlélie Couture, Michèle Bernard, Pierre Eliane, Font & Val…

** Votre serviteur se souvient parfaitement du moment où on est venu lui apporter -dans les locaux de cette agence- les épreuves de son livre valant bible : Français si vous chantiez (édition Albin Michel /Rock & Folk sorti en 1976).

*** Daniel Colling sera aussi initiateur, avec le solide appui de Jack Lang, de la création de la salle de spectacle qu’on verra fleurir se multiplier un peu partout à travers le pays : les Zénith. DG sera le directeur du premier d’entre eux -celui de Paris- assurant aussi la gestion de la salle au nom de sa société Colling & Cie. On peut faire le pari qu’il a su en faire la réclame à Georges Frêche car Montpellier sera la seconde ville du pays à voir l’émergence d’une telle salle.

A la Une, photo d’archives du Printemps de Bourges, 1987, Daniel Colling est le moustachu entre Mitterrand et Gainsbourg. Georges Frêche, photo des archives municipales.

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